Sale temps pour la démocratie

Qu’adviendra-t-il du régime Trump le 3 novembre? Éviterons-nous ce qui ressemble à une montée fasciste menaçant la démocratie américaine? Seuls les citoyennes et citoyens des États-Unis ont prise sur cet enjeu, mais le recul de la place des États-Unis sur la scène internationale, allié à la montée de la Chine sous le régime autoritaire de Xi Jinping, constitue un temps difficile pour la démocratie. Après des décennies de politiques néolibérales, le Québec aussi a des raisons de s’interroger sur la vitalité de sa démocratie.

Contrastant avec les années austéritaires Couillard-Barrette, le gouvernement Legault donne une certaine image de fraîcheur. Mais, je suis toujours déconcerté par la facilité avec laquelle il esquive les processus démocratiques au nom d’une efficacité affairiste. Je suis toujours d’accord avec la loi sur la laïcité, mais était-il nécessaire de l’adopter sous le bâillon? Le dossier de l’immigration a montré un gouvernement qui a de la difficulté à écouter la société civile. On peut en dire autant des façons de faire du ministre de l’Éducation : abolition cavalière des commissions scolaires, gestion chaotique de la crise, absence de consultation des enseignantes et enseignants et de leurs syndicats pour la rentrée cet automne, etc.

La pandémie a mis en évidence les lacunes dénoncées depuis longtemps dans le réseau de la santé et des services sociaux. Un nouveau ministre moins lié aux réformes Barrette semble mieux comprendre la situation, mais comment va-t-il gérer le rapport de l’enquête qu’il a confiée à la Commissaire à la Santé et au Bien-Être? La première version du projet de loi 61 pour la relance était vraiment inquiétante et justifiait sa façon autoritaire en faisant valoir que passer outre la consultation permet de faire plus rapidement. Ce gouvernement donne des signes d’un autoritarisme en gants de velours qui ne corrige en rien les reculs hérités de ses prédécesseurs!

En contrepartie, l’action citoyenne continue à mettre en œuvre une démocratie de participation et de délibération sur le front du développement des territoires (Lachapelle et Bourque, 2020), en action communautaire (Comeau, 2020; Jetté, 2017) et dans les projets de transition écologique (Waridel, 2019). Plusieurs organismes québécois de coopération internationale vont dans le même sens en appuyant les initiatives d’économie sociale et solidaire émergeant dans les pays du Sud (Cliche, 2020). Le mouvement d’une démocratie qui part d’en-bas continue à renforcer la fibre démocratique de la société, en dépit d’une conjoncture nationale et internationale peu favorable.

Sur le front des résistances, les expressions citoyennes sont aussi à l’ordre du jour, notamment dans le cadre des protestations contre la discrimination raciale dans la foulée de l’assassinat de George Floyd et en appui aux revendications territoriales autochtones. L’action citoyenne continue à s’exprimer selon la dialectique de résister et construire.

L’action communautaire et les revendications citoyennes constituent une forme particulièrement intéressante de démocratie qui, émergeant des milieux de vie, permet à des personnes sans pouvoir de prendre la parole. Cette démocratie populaire a cependant besoin de décisions qui relèvent de la démocratie politique pour arriver à institutionnaliser les changements qui s’imposent. Au Québec, les dernières décennies du 20e siècle ont permis de mettre en place un cadre propice à une telle négociation, mais les deux premières décennies du 21e ont mis à mal ce modèle québécois d’action collective concertée et de partenariat. La réduction des conseils régionaux en conférences des élus et leur abolition par la suite, la soumission des centres locaux de développement aux élus des MRC puis leur disparition dans la moitié des MRC, l’abolition des commissions scolaires, la disparition de la gestion locale des établissements de santé et services sociaux en première ligne et la fin de la présence de citoyens dans les conseils d’administration des centres de santé et de services sociaux, tout cela réduit la capacité des territoires locaux d’exercer une prise citoyenne sur les enjeux collectifs. Les élus municipaux reconnus comme gouvernement de proximité disposent de pouvoirs de décision limités par la prépondérance des paliers supérieurs, mais surtout par la rareté de moyens dont ils ont hérité. Bref la démocratie populaire est contrainte à s’exercer dans une sorte de désert politique.

Les exigences de sortie de la crise engendrée par la pandémie offriront-elles l’occasion de restaurer la capacité d’agir locale qui a montré son efficacité pour absorber certains impacts sociaux? Ou bien la volonté de faire vite va-t-elle encore une fois servir de caution à une réduction des espaces de délibération?

Il faut faire vite, car les enjeux sont énormes, mais il faut surtout faire bien, sinon nous nous préparons seulement à refaire la même expérience avec le prochain virus de quelque nature qu’il soit. La revendication d’une relance verte, équitable et durable passe nécessairement par une restauration de nos espaces démocratiques.

 

Références

Cliche, P. (2020, à paraître). « Quelques défis de la conjoncture mondiale » dans Mission inclusion et ses partenaires AFDR. APIL, CINDES, FCCP, PRO RURAL ET USCCPA, Produisons pour construire le « Bien Vivre ». Processus de systématisation d’expérience réalisé dans le cadre du projet « Innovation et mobilisation pour la sécurité alimentaire » au Burkina Faso, en Bolivie et au Pérou. Montréal : Les éditions des partenaires.

Comeau, Y. (2020). Poverty, Inequalities, and Collective Intervention Strategies, dans Todd S. and S. Savard, Canadian Perspectives on Community Development, Ottawa: University of Ottawa Press, p.155-181

Jetté, C. (2017). Action communautaire, militantisme et lutte pour la reconnaissance : une réalité historique, politique et sociologique, Reflets, Revue d’intervention sociale et communautaire, (23/1), p.28-56.

Lachapelle R. et D. Bourque (2020). Intervenir en développement des territoires, Québec : Presses de l’Université du Québec, 148p.

Waridel, L. (2019). La transition c’est maintenant. Choisir aujourd’hui ce que sera demain, Montréal : Écosociété, 375p.

 

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Une réponse

  1. Un texte qui nous rappelle que la démocratie n’est pas un rempart absolu contre les dérives de gouvernance et les abus de pouvoir. En bousculant les institutions, en méprisant les relations internationales et multilatérales, en manipulant le système judiciaire, en modelant les règles fiscales au bénéfice des plus riches…, Donald Trump, à la tête d’une des plus grandes nations démocratiques, a posé en quatre ans les jalons d’un régime néo-démocratique qui, sous plusieurs aspects, n’a rien à envier aux régimes despotiques. Dans son ouvrage De la démocratie en Amérique publié en 1835, Alexis de Tocqueville mettait en garde contre le danger d’une « dictature démocratique ». Ce nouveau style de démocratie instaurée à la Maison Blanche, n’est pas sans influencer des dirigeants d’autres pays aux principes démocratiques pourtant bien établis. Oui, sale temps pour la démocratie.

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