Érosion ou anémie démocratique?

Si j’ai apprécié l’arrivée de femmes et de jeunes à la tête de grandes villes lors des élections municipales du 7 novembre, j’ai été choqué de constater le faible taux de participation (38 %), en baisse par rapport à 2017, et le fait que 4 291 postes d’élus municipaux sur 6 942 (62 %) aient été comblés par acclamation. Si l’on ajoute la participation plus faible aux récentes élections fédérales, faut-il en tirer la conclusion que nous assistons à une lente, mais inexorable érosion de l’exercice de la citoyenneté? Ou bien s’agit-il d’une anémie qu’une sérieuse revitalisation de la conscience politique pourrait faire reculer?

Depuis 2000, l’État québécois a pris plusieurs mesures qui dévaluent la participation citoyenne. Après l’abolition, lors de la réforme Barrette en 2015, de 6 000 postes de personnes représentant les populations desservies sur les conseils d’administration des établissements de santé et de services sociaux, l’abolition des commissions scolaires que le gouvernement de la CAQ a transformées en centres de services, ce sont les commissaires scolaires élus qui ont disparu. On peut aussi évoquer la disparition des citoyen·ne·s des conseils d’administration de ce qui reste des centres locaux de développement. Bref, les espaces électifs de représentation citoyenne ont connu une baisse notable. Au lieu de chercher ce qui pourrait inciter les gens à s’engager dans les tâches publiques, on prend prétexte de faibles taux de participation pour réduire les processus représentatifs. Ce faisant, est-ce que l’État ne dévalue pas la démocratie représentative dont il se réclame?

La gestion par décret du gouvernement Legault depuis le début de la pandémie a beau ne pas faire baisser la cote du premier ministre, il est légitime de se demander pourquoi l’Assemblée nationale n’a pas encore eu son mot à dire. La gestion par imposition d’obligations dans le réseau de la santé et des services sociaux n’est pas de nature à susciter l’engagement des personnes dont le rôle auprès des personnes dans le besoin est pourtant déterminant – le temps supplémentaire obligatoire est sans doute le plus bel exemple.

Les deux dernières décennies ont été profondément marquées par un virage de l’État québécois vers la privatisation des services publics, une gestion axée sur les résultats alliant la réduction des ressources au nom de l’efficacité et les redditions de comptes au bénéfice des statistiques. En fait nous sommes invités à nous comporter comme des client·e·s plutôt que des citoyen·ne·s. Nous sommes la clientèle des établissements d’éducation, invitée à magasiner entre l’école privée et l’école publique, entre le collège ou l’université anglophone plutôt que francophone. On évalue l’enseignement en termes de satisfaction des étudiantes et étudiants – voire de leurs “fragilités” – et de réponse aux besoins des entreprises d’un marché mondialisé plutôt que du développement des connaissances et de la citoyenneté. En éducation comme dans les services sociaux et de santé, le vocabulaire des professionnels qui parlent de leurs clients est un reflet de cette érosion démocratique. L’approche commerciale remplace les choix politiques de citoyen·ne·s.

Ce modèle d’État s’est installé dans la foulée de la défaite du projet de souveraineté lors du référendum de 1995. Cet événement a entraîné un déficit d’idéal national capable de fournir au Québec un cadre culturel commun et un projet d’État national à la mesure de nos aspirations. On nous invite plutôt à mesurer le succès du Québec au niveau des salaires industriels. L’anglicisation galopante aussi bien dans les productions culturelles – dans le rap en particulier – que dans l’éducation postsecondaire, la tolérance à des pratiques de bilinguisme qui font du français une langue de minoritaires au Québec, en est une bonne illustration. L’autonomisme caquiste n’a rien d’un projet de pays. C’est au mieux une courtepointe de mesures timides appliquées selon le modèle d’un État au service de l’économie de marché. Ajoutons la dose de politique à courte vue qui a entraîné la tenue d’élections fédérales dont tous conviennent qu’elles étaient absolument inutiles comme les résultats l’ont prouvé. N’y a-t-il pas un lien à faire avec le fait que sept semaines plus tard il y ait eu tant d’abstentions aux élections municipales?

Les organismes communautaires, ces haut-lieux de participation des citoyennes et citoyens des classes populaires sont-ils atteints par cette érosion de la démocratie? Collectivement, ils sont un terreau privilégié de démocratie participative. Cette tradition est-elle en train de se renouveler ou bien de s’affadir? La question se pose lorsqu’on voit des associations où les assemblées générales et les forums de discussion qui sont des modes de participation des membres, ne donnent pas de signes de grande vigueur. Certains considèrent que l’expertise des intervenant·e·s communautaires s’exprime davantage que celle des membres.

Je persiste pourtant à miser sur l’action citoyenne pour renouveler la démocratie et surtout relancer un projet de société qui soit solidaire. Dans le contexte d’urgence de la transition écologique, si nous n’allons pas dans cette direction nous aurons à subir une transformation de nos milieux de vie que personne ne souhaite (même pas les conducteurs de VUS!). Les indices qui pointent vers le renouvellement sont déjà là, mais nous avons la responsabilité de revigorer l’action collective pour faire reculer l’anémie démocratique.

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2 réponses

  1. C’est exactement pour ça qu’il faut travailler à valoriser la parole citoyenne. Je pense qu’en travaillant de près avec les gens, il est possible de libérer la parole. Quand je vois comment des mouvements comme la lutte au changement climatique ou le problème des gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent ont fait virer les choix politiques, je pense qu’il y a encore de l’espoir pour une démocratie qui ne soit pas molle. Mais rien n’est gagné d’avance…

  2. Aujourd’hui l’industrie médiatique moderne avec ses différents outils de propagande (relations publiques, publicité, médias sociaux, forums d’experts, cinéma, communiqués de presse, etc.) a pour objet premier de « fabriquer le consentement du peuple », à gérer les foules et à faire basculer rapidement l’opinion en détournant constamment notre attention. En créant l’émotion appropriée. Ceci explique certainement, du moins en bonne partie, notre passivité croissante face à l’engagement politique. Cette manipulation constante de l’opinion publique laisse libre cours à nos « élites » de décider à notre place et de diriger le monde selon leurs intérêts. Quoi qu’ils en disent, cela fait leur affaire….
    Plus que jamais, ce que l’on nomme aujourd’hui démocratie a besoin « d’une opinion publique saine » ou le citoyen se doit d’être un « spectateur » et non un « participant réel».

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