Vivre en paix est un acte courageux

J’avais envie de parler de paix. J’ai peur de la perdre. D’être aspirée, avec mes semblables, dans une spirale d’intolérance qui ne sera pas sans douleur et sans perte. J’avais besoin de comprendre mieux la dynamique puissante qui semble actuellement pousser l’humanité dans cette violence intrinsèque.

Je suis convaincue qu’il faut du courage, pour vivre en paix. Avec soi-même, étant une chose, avec les autres, étant une toute autre.

Vivre en paix avec les autres, est l’inverse du repli. Ce dernier construit des murs qui alimentent la peur de l’invasion, plutôt que de l’apaiser. Le repli amène à regarder l’autre de loin, de derrière la muraille, sans possibilité de se rapprocher.

Pour vivre en paix avec les autres, il faut accepter de partager une part de notre gâteau. Il faut de la générosité, mais aussi la conviction d’en avoir suffisamment. Et, ça, manifestement, c’est un sentiment relatif.

Je pense que les personnes qui parviennent à vivre en paix avec les autres et même à étendre cette paix à une communauté entière, à un pays dans certains cas, ont une richesse de l’Être particulière. Un amalgame entre le sentiment d’être quelqu’un de valable, d’avoir quelque chose à partager, et la certitude de ne pas être complet, d’avoir des zones d’ignorance, de vide, que seule la découverte de ce qui est encore inconnu, étranger, peut combler.

Il faut sans doute aussi une dose appréciable de magnanimité envers soi et envers les autres, parce que vivre en paix n’est pas un long fleuve tranquille. Les différences viendront toujours confronter, même les plus pacifistes, sur certaines valeurs profondes. Il faudra alors trouver des compromis. Sans compromis, sans accommodement, des murailles se dresseront et il faudra encore plus de courage pour les abattre.

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Pour préparer ce billet, je me suis lancée dans une exploration de l’actualité des derniers mois, à la recherche de mon fil d’Ariane… J’y ai trouvé de quoi nourrir un profond sentiment de désarroi.

Est-ce une lubie, la paix?

J’ai lu le récit d’un homme qui fut détenu en Syrie. Horrible. Sans nom. Des cauchemars l’habitent. Il ne trouvera jamais plus la paix, même à l’intérieur de lui.

La domination par la violence, par la cruauté même, de certains individus sur les autres est-elle « humaine »? Est-elle indissociable des systèmes humains? Aussi loin que je regarde, la violence dominatrice ressurgit partout, comme un cancer, comme un feu de brousse, rasant des vies, des maisons et nourrissant le ressentiment des survivants. Ceux qui la subissent trouvent ensuite difficilement la paix.

Pour être chef, pour dominer les autres, certains manipulent, mentent, écrasent. Faits alternatifs, fake news, post-vérité, intox[1], des armes revampées d’un vieux combat pour le pouvoir.

Pour être couronné chef, rien de tel que des ennemis à combattre. La recette est vieille, mais elle semble toujours fonctionner. Que restera-t-il de la paix entre latinos, noirs, arabes et blancs quand Donald Trump aura lancé tant de charges de rhinocéros qu’il en sera lui-même épuisé? Je me le demande. Des trophées de chasse, peut-être.

Pourquoi nous sentons-nous menacés par les autres? Notre gâteau est-il trop petit?

Trop nombreux?

Sommes-nous trop nombreux? … Peut-être bien. L’idée d’une surpopulation dangereuse pour l’équilibre de l’humanité n’est pas nouvelle[2]. Elle fait cependant de plus en plus d’adeptes, alors que le nombre d’humains vogue vers les 7,5 milliards.

La pression sur les ressources naturelles et, plus globalement, les conséquences de cette masse d’humains sur les écosystèmes terrestres ne sont plus contestées aujourd’hui que par certains « climatoseptiques » ayant gros à perdre de voir l’humanité freiner sa course aux énergies fossiles.

Plus encore, nous surconsommons. Selon l’ONG canadienne Global Footprint Network, qui travaille à quantifier l’empreinte écologique des activités humaines [3] sur la nature, nous serions en constante surexploitation de la biocapacité annuelle de la Terre depuis 2008.

Et biologiquement déterminés?

Tour à tour, l’éthologie, le behaviorisme, la psychanalyse, la sociologie et même les sciences politiques se sont penchés sur les conséquences de la surpopulation sur le comportement des humains, chacun apportant sa réponse, où les parts de l’acquis et de l’inné sont variables et font chaude lutte au libre arbitre.

Pour l’éthologie, qui étudie les comportements humains à la lumière du répertoire biologiquement déterminé de notre espèce, il est clair que la surpopulation est un sérieux frein à la cohabitation harmonieuse. Globalement nous réagissons par l’agressivité. Ce comportement aurait une fonction de survie. L’agressivité permettrait une sélection « concurrentielle » (pour l’accès à l’espace, à la nourriture, à l’énergie et au partenaire sexuel).

Dans cette perspective, la paix en situation de surnombre demanderait un effort de volonté considérable, surtout confrontée à l’agressivité « naturelle ». La paix aurait-elle une dimension « cognitive », apprise, pour les humains? Les programmes d’éducation à la paix s’appuient sur cette idée. Toutefois, le débat est toujours ouvert et loin d’être clos.

Récit d’une rencontre avec la paix

Dans le cadre de son cours d’éthique et culture religieuse, ma fille devait documenter et photographier un bâtiment religieux. Intimidée, elle m’a demandé de l’accompagner. Je lui ai proposé d’assister au culte. Rien de mieux que d’essayer.

Elle m’a regardé drôlement. Maman? Toi? Aller dans une église? Puis sont venues ses craintes. Est-ce qu’ils vont m’obliger à aller parler en avant? Est-ce que c’est long? Est-ce qu’il faut savoir des prières?

Nous y sommes allées, à 10h00, un dimanche bien gris et bien froid, au coin des rues Beaubien et Saint-Denis, à Montréal. Et ce fut un beau moment.

En ouvrant la porte massive, nous avons quitté la ville, quitté le gris, quitté le bruit. Nous nous sommes glissées dans un des bancs de bois, immuable, verni pour faire glisser les fesses du temps où on s’agenouillait. Pas trop loin pour bien voir, pas trop près pour ne pas être vu (comme si c’était possible dans une assemblée de 40 personnes).

Et ça a commencé. Comme un spectacle tant rejoué. Comme dans mon enfance. C’était fascinant d’être si petits dans un lieu si grand. Les notes de l’orgue Casavant montant dans l’air. Partout, des icônes, des peintures, de la lumière par les immenses fenêtres. Le curé s’élançant (un peu maladroitement) dans une parabole sur le sel et la lumière. Bienveillant. Les gens silencieux, les yeux bas, les mains jointes. De tous âges, surtout vieux.

En fait, c’était différent de mon enfance et du souvenir que j’en ai gardé (ou de celui que je me suis construit au fil de l’oubli). Moins de bancs durs, un espace avec des fauteuils, un autre pour les enfants. Une invitation à prendre le café après la messe. Des gens souriants. Bienveillants eux aussi. Au moment de l’eucharistie, ils se sont rassemblés à l’avant et donné la main, fait l’accolade, la bise. Ils se sont souhaité de la paix. Tout simplement.

Dans ce lieu, dans cette petite communauté de gens reliés par leur foi en Dieu, elle fut là, la paix, pour un moment.

Lorsque nous sommes ressorties, après les photos et les patientes réponses du curé aux questions gênées de ma grande, nous avons réintégré le froid, le gris et laissé la paix derrière, à ceux et celles qui étaient venus la partager.

Si précieuse, si rare.

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Alors même que j’écris ces lignes, je reçois un message de ma mère qui s’adresse aux femmes de son monde. Je le reproduis textuellement :

« À toutes les femmes que j’aime… une lueur d’espoir. »

La paix est certainement un acte « courageuses ».

Shalom!


[1] Le Monde a publié dans son édition en ligne du 25 janvier 2017 un article très intéressant pour s’y retrouver dans tous ces termes qui font frissonner devant l’ampleur de la manigance : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/01/25/faits-alternatifs-fake-news-post-verite-petit-lexique-de-la-crise-de-l-information_5068848_4355770.html#yWxkSLO08m7Bovyl.99

[2] Selon Wikipédia : Le malthusianisme est une politique prônant la restriction démographique, inspirée des travaux de l’économiste britanique Thomas Malthus (1766-1834). Malthus craignait les effets dévastateurs du développement libre, supposé exponentiel, de la population humaine. Des récits de voyages de son époque, Malthus a tiré une loi des sociétés naturelles : la population tend à croître plus rapidement que ses ressources, jusqu’à ce qu’interviennent des freins ou limites (checks), qui font régresser la population à un niveau supportable pour assurer la survie de l’ensemble.

[3] Concept mis au point dans la foulée du Sommet de la terre de Rio, en 1992, par les chercheurs William Rees et Mathis Wackernagel. Il est aujourd’hui reconnu par l’OCDE. L’empreinte écologique des activités humaines est la différence entre le rythme auquel la Terre produit des ressources – aliments, combustibles, etc. – et assimile les déchets (sa biocapacité) et le rythme auquel l’humanité consomme les ressources et produit des déchets.

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