*L’auteur est professeur retraité du département de géographie de l’UQÀM, spécialiste en aménagement et développement territorial et résident de Québec

 

Les deux piliers de la planification territoriale

La planification territoriale est une mission fondamentale de tout état moderne. Elle repose sur deux piliers : l’aménagement du territoire et le développement du territoire. L’aménagement du territoire est un ensemble de mesures destinées à assurer un développement ordonné, harmonieux et équilibré des espaces habités par des actions sur la répartition des infrastructures, des services et des activités économiques, et sur l’environnement naturel et bâti. Le développement territorial est, quant à lui, constitué d’un ensemble de mesures de nature à stimuler la dynamique économique, sociale et démographique des territoires, dans le respect de la politique d’aménagement et des impératifs du développement durable. Aménagement et développement sont ainsi étroitement imbriqués.

Le gouvernement Legault semblait avoir bien compris l’importance d’une planification globale et intégrée des territoires impliquant ces deux piliers. Ainsi, quelques mois après sa victoire le 1er octobre 2018, il confiait à sa ministre déléguée au développement économique régional, Marie-Ève Proulx, le mandat d’élaborer une Stratégie de développement économique local et régional. Secondé par un comité conseil* constitué d’experts en la matière, les travaux se sont poursuivis jusqu’en mai 2021, soit jusqu’à la démission de la ministre. Bien que les responsabilités et les dossiers de madame Proulx aient été transférés à d’autres ministres, dont le ministre en titre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, le projet de Stratégie de développement économique local et régional est disparu de l’agenda de la CAQ.

Quelques mois plus tôt, soit le 27 janvier 2021, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, madame André Laforest, avait lancé une « Grande conversation nationale » en vue de la préparation d’une Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement du territoire, titre qui changera plus tard pour celui de Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire. Un comité d’experts* externes a été créé pour accompagner la réflexion et les travaux associés à ce projet.

« Cette politique permettra de répondre de manière cohérente et durable à des enjeux majeurs d’actualité, dont les suivants :

  • la lutte contre les changements climatiques et l’adaptation à ceux-ci;
  • la préservation et la valorisation du patrimoine culturel;
  • la mise en valeur des paysages;
  • la pérennité des investissements en architecture;
  • la lutte contre l’artificialisation des milieux naturels et agricoles;
  • les changements démographiques;
  • la vitalité économique. » (MAMH)

 

Le comité d’experts a été invité à soumettre des recommandations au gouvernement quant aux orientations qui devaient être abordées dans la Politique. Leurs analyses et recommandations ont porté sur les cinq thèmes suivants : la croissance urbaine, la gouvernance, les milieux de vie, la ruralité et les petites villes, les finances et la fiscalité. Outre ce comité d’experts, un comité consultatif a aussi été mis en place ayant pour mandat de conseiller le gouvernement à toutes les étapes d’élaboration de la politique.

La Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire devrait être dévoilée au cours des prochaines semaines (printemps 2022).

 

Des objectifs ambitieux

Un regard nouveau, des objectifs ambitieux et des mesures novatrices sur les plans économique, spatial, social et environnemental doivent inspirer ces pièces législatives encadrant les modes d’occupation et le dynamisme des territoires. Il faut préconiser par ailleurs une démarche transversale entre les ministères pour que les politique, stratégie et plans d’intervention ne soient pas conçus et administrés en silo. Et aussi, que les mesures et prescriptions ne soient pas du mur à mur, mais prennent en compte les spécificités locales et régionales. Au moment où ces lignes sont écrites, le gouvernement a reçu, analysé et soupesé l’ensemble des avis et recommandations pour l’élaboration de la Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire. Quelle formulation en tirera-t-il? Aura-t-il le courage d’agir pour que le modèle d’occupation et de développement du territoire appliqué depuis les années 50, change pour un modèle adapté au 21e siècle?

 

Échec de la Stratégie de développement des régions

La démission de la ministre Marie-Ève Proulx en mai 2021 fut suivie de l’abandon du projet de Stratégie de développement économique local et régional, alors que les travaux en vue de sa formulation progressaient de façon encourageante. Il s’agit là d’un échec regrettable qui voit s’évanouir pour les régions l’espoir de se libérer d’une position d’enfants mal-aimés issue des gouvernements Couillard et Charest. On fera valoir qu’il existe le Fonds régions et ruralité et la Stratégie pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires (ministère des Affaires municipales et de l’Habitation), ainsi que le Programme d’aide à l’entrepreneuriat (ministère de l’Économie et de l’Innovation). Des cadres d’intervention et des programmes qui ne sont toutefois pas enchâssés dans une politique dotée d’une vision et d’orientations fortes de développement des régions, ce qu’avait pour but de définir la Stratégie de développement économique local et régional (qui aurait pu évoluer vers une politique nationale).

 

Le troisième lien comme moteur de développement régional?

Puis survient le projet du troisième lien dans ce contexte de réflexion sur l’aménagement du territoire et le développement des régions. Bien que ne disposant d’aucune étude sérieuse pour appuyer l’option d’un double tunnel autoroutier sous-fluvial entre les centres-villes de Québec et de Lévis, et à l’encontre de tous les avis scientifiques, le ministre des Transports, François Bonnardel, n’a aucune gêne à déclarer que ce troisième lien : 1. stimulera le développement de l’est du Québec, ce que les maires de Rivière-du-Loup, Rimouski, Matane et Baie-Comeau ont catégoriquement rejeté comme hypothèse; 2. ne générera pas d’étalement urbain mais plutôt une « revitalisation et un rééquilibrage » dans la couronne est de Lévis; 3. et que ce « rééquilibrage » est dans l’ordre des choses du fait que la « densification n’est qu’une mode ». Le plaidoyer du gouvernement en faveur du troisième lien devient de plus en plus loufoque, déconnecté de la réalité et en contradiction avec les objectifs majeurs de la Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire.

On ne s’étonne pas que le parti Libéral dirigé par Dominique Anglade profite de ce marécage d’électoralisme et d’improvisation dans lequel s’enlise la CAQ, pour proposer sa « Charte des régions ».

 

Pour une authentique politique de développement des régions

Une politique ambitieuse et vigoureuse de développement local et régional reposerait sur une volonté solidement affirmée du gouvernement, étoffée d’une vision claire, d’orientations précises et de budgets conséquents, qui engageraient les ministères concernés dans une véritable révolution des territoires hors des grands centres.

Une telle politique serait structurée autour des éléments suivants : 1. adoption d’un modèle multipolaire de développement pour contrer l’hyperconcentration économique et démographique des communautés métropolitaines de Montréal et de Québec; 2. consolidation du réseau des villes petites et moyennes et des villages en région pour accroître leur attractivité et leur capacité concurrentielle; 3. reconnaissance de l’intérêt grandissant d’entreprises, de travailleurs et de familles pour une installation en région; 4. revalorisation et multifonctionnalité des territoires ruraux; 5. nouvelle étape de la décentralisation pour accroître l’autonomie administrative et financière des collectivités territoriales et libérer ainsi leur capacité d’agir; 6. renforcement de la structure des MRC qui apparaît comme le bon échelon d’efficacité pour la gouvernance de proximité, une gouvernance partagée avec les municipalités locales; 7. stratégie de déploiement de la croissance économique et démographique entre les régions centrales et les régions intermédiaires et périphériques pour un meilleur équilibre territorial; 8. préservation accrue des milieux naturels et agricoles; 9. application ferme des principes du développement durable et de la lutte contre les changements climatiques.

En somme, une politique de développement local et régional en phase avec les évolutions récentes et en cours : dématérialisation de vastes pans de l’économie, révolution numérique, essor du télétravail, élargissement des bassins d’emploi, transition écologique, autonomie alimentaire, quête d’une meilleure qualité de vie et exode des grandes villes dont témoignent les migrations interrégionales. Autant de réalités nouvelles qui affranchissent les choix de lieux d’établissement de la contrainte de la concentration dans les grands centres et qui sont propices à la reconquête des régions.

 

Bernard Vachon. Ph.D.

*  L’auteur de ce texte a été membre du comité conseil et du comité d’experts.

 

 

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3 réponses

  1. Et qu’elle serait l’effet d’un pont sur le Saguenay? Aux 40 minutes actuellement le traversier est un réel frein au développement économique. Industriels et acteurs touristiques se retrouvent coincés. C’est sans compter l’interminable projet de route de la Basse Cote-Nord. M. Vachon parlait d’occupation du territoire. Me semble qu’il serait temps de s’en donner les moyens.

  2. Ne resterait qu’à développer un réseau de transport interurbain électrifié ! Associé à des facilités intermodales (automobiles partagées, transport de bicyclettes) on pourrait ainsi utiliser l’avantage hydroélectrique québécois tout en réduisant la dépendance à l’auto-solo.

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