Le 24 août prochain, les Québécois marqueront le 100e anniversaire de naissance de René Lévesque, considéré sans conteste comme le plus grand premier ministre depuis la Révolution tranquille (selon un sondage de la firme Léger en février 2022). Par un cruel retour de l’histoire, le parti de l’ancien chef du PQ luttera alors implacablement pour sa survie à l’élection générale du 3 octobre. (1)
Comment le Parti québécois, porteur de l’idéal souverainiste, en est-il venu là ? Pour réanimer les espoirs dans l’urgence du redressement, l’actuel chef Paul St-Pierre Plamondon et son leader parlementaire Pascal Bérubé remettent à l’ordre du jour un vigoureux plaidoyer pour l’indépendance du Québec. Feront-ils bouger positivement l’aiguille des sondages ?
Rien n’est moins sûr pour un militant souverainiste de longue date, André Larocque. M. Larocque a été aux côtés de René Lévesque un membre fondateur du Mouvement Souveraineté-Association et peu après du Parti Québécois, chef de cabinet de René Lévesque (1970-1977), sous-ministre à la réforme électorale et parlementaire dans les deux gouvernements Lévesque (1977-1985), sous-ministre à la réforme des institutions démocratiques dans le gouvernement de Bernard Landry (2000-2001) et professeur associé à l’École nationale d’administration publique (1986-2011).
Il a publié récemment en compagnie de l’influent militant de Kamouraska Roméo Bouchard trois ouvrages sur les grandes lignes d’un projet politique de démocratie et citoyenneté fondé sur la souveraineté du peuple. Les deux complices militent au sein du Mouvement démocratie et citoyenneté québécoises. Ils militent en faveur de la convocation d’une Assemblée constituante citoyenne et représentative mandatée pour proposer une première constitution pour le Québec et permettre ainsi au peuple québécois de reprendre le contrôle des décisions qui le concernent.
Dans un texte documenté paru dans l’édition de mai de la revue québécoise L’Action nationale, André Larocque, compagnon d’armes de Lévesque, s’attache à remettre les pendules à l’heure sur les événements, souvent éprouvants, qui ont ponctué la carrière de son ancien patron et ami qu’il qualifie de grand patriote, authentique démocrate et homme politique profondément intègre. Son témoignage est d’autant plus crédible qu’il s’appuie non seulement sur son expérience directe, mais aussi sur les écrits autobiographiques de René Lévesque – Attendez que je me rappelle… (2)
Tôt dans son texte Larocque s’applique à briser quelques mythes…
« Pendant les célébrations de 2022, il y aura unanimité à célébrer le grand homme. On dira que les fidèles de René Lévesque lui sont toujours restés fidèles. Ce n’est malheureusement pas vrai. On dira que sa plus grande contribution à l’histoire du Québec a été la loi 101 sur la langue. Ce n’est pas vrai. Il aurait voulu s’en passer. On dira que René Lévesque s’est retiré comme chef du parti mission accomplie. Ce n’est pas vrai. Le fondateur du parti a été mis à la porte par les siens. On oubliera de dire que la réforme démocratique, qu’il chérissait le plus dans toute sa carrière politique, a été sabotée par un gouvernement du Parti québécois ! On ne dira pas que sa volonté passionnée de réformer le mode de scrutin et, avec elle, la possibilité d’enclencher une vaste opération de décentralisation, a été descendue en flammes par le caucus des députés de son parti. Plusieurs m’ont dit : il ne faut pas gâcher la fête ! Mais il s’agit de bien plus qu’une fête. René Lévesque est au cœur même de notre histoire. Pendant qu’on parlera beaucoup de lui, il mérite d’avoir l’occasion de parler pour lui-même. »
Indépendance et démocratie
Larocque cite Lévesque au texte en rappelant sa conviction profonde de la prédominance du pouvoir souverain du peuple sur l’esprit partisan – « l’idée d’indépendance a besoin d’apprendre à patienter, à durer jusqu’au jour où elle reposera non plus sur un mouvement, si vaste soit-il, mais carrément sur un peuple. » (René Lévesque. Attendez que je me rappelle…)
« Nous savons tous, écrit M. Larocque, que le référendum promis par le premier ministre s’est tenu le 20 mai 1980. À cause de l’invraisemblable inertie des médias et à cause de la fixation du PQ sur la victoire ce jour-là, cette société est restée largement dans l’ignorance de la véritable portée historique de la Loi sur la consultation populaire adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin 1979. »
Référant à la législation référendaire et son utilisation, il précise « qu’il ne s’agissait pas d’une loi pour un référendum un jour. C’était une loi de caractère statutaire, c’est-à-dire une loi permanente qui introduisait au cœur de nos institutions politiques le droit du peuple de décider lui-même de toute question d’intérêt public. »
C’était là, pour la première fois, la réforme démocratique la plus fondamentale dont un peuple puisse disposer, décider de son avenir. « De fait, seulement quelques mois après le référendum, cette fidélité de René Lévesque à la volonté populaire s’est vue récompensée par l’expression de la fidélité populaire à son égard. L’élection générale du 13 avril 1981 a vu son gouvernement recevoir un appui de 49,3 %. Le fondateur du PQ venait de porter son parti au plus haut sommet qu’il atteindra dans toute son histoire. »
Le parti avant la patrie
Larocque souligne que « la principale caractéristique des gouvernements du PQ après le départ du chef fondateur a été l’abandon quasi total de toutes perspectives visant la démocratisation de nos institutions politiques. À l’exception de la loi sur la tenue des élections à date fixe adoptée par le gouvernement Marois et contournée le lendemain même de son adoption, aucun gouvernement du PQ n’a avancé le moindre projet à visée démocratique, ni celui de Jacques Parizeau, ni celui de Lucien Bouchard, ni celui de Pauline Marois. »
« La fixation définitive, estime-t-il, s’est rapidement portée sur l’indépendance. L’indépendance n’est plus un moyen. Elle est l’objectif primordial omniprésent. Le PQ devient un cercle enfermé sur l’indépendance. La souveraineté populaire, l’assise même de la démocratie, cède la place à la souveraineté de l’État. Le moyen devient plus important que l’objectif. Le peuple est mis au second rang, ou carrément oublié, pour se centrer sur cet État que nos élites ont l’ambition de compléter. »
Selon Larocque, la journée où le PQ « a tourné le dos à René Lévesque, le peuple québécois a tourné le dos au Parti québécois ». René Lévesque lui-même dans son autobiographie aurait très tôt prédit où s’en allait le parti qu’il avait fondé quand il a écrit « je n’ai jamais été un vrai partisan. Pour moi, tout parti politique n’est au fond qu’un mal nécessaire… les partis appelés à durer vieillissent généralement assez mal. Ils ont tendance à se transformer en églises laïques hors desquelles point de salut et peuvent se montrer franchement insupportables. À la longue, les idées se sclérosent et c’est l’opportunisme politique qui le remplace. »
Au fameux congrès national de 1981, impossible pour René Lévesque, de laisser passer la résolution adoptée à l’effet qu’il ne fallait, pour proclamer l’indépendance, qu’une majorité de l’Assemblée nationale, et non l’assentiment populaire. Le chef du parti propose le « beau risque » de la main tendue de Mulroney. Devant l’adversité au sein de ses troupes, Lévesque remet la décision entre les mains des membres du parti lors de ce qu’on a appelé le « renérendum ». Ils seront 300 000 membres à voter en 1981. Par un vote écrasant de 95 %, les membres soutinrent le chef. Mais la dissidence persistait.
Selon Larocque, « on n’avait pas plus d’égard pour la démocratie à l’intérieur du parti qu’on en avait pour la démocratie au plan national. » La révolte contre le chef était enclenchée. Jacques Parizeau, Camille Laurin, Denis Lazure, Jacques Léonard, Gilbert Paquette, Denise Leblanc-Bantey abandonnent leur poste au Conseil des ministres et, du coup, rompent avec le premier ministre.
La loi 101
Quant à la loi 101, on attribue presque systématiquement la paternité et le mérite de la législation au bilan politique personnel de René Lévesque. « Cela est faux ! », soutient André Larocque. Dans ce geste de tourner le dos au fondateur, « ceux pour qui l’indépendance était plus importante que la démocratie ont réussi à imprimer dans l’image publique que la principale contribution de René Lévesque à l’histoire du Québec a été de nous avoir donné la loi 101. »
Selon Larocque, « Lévesque disait carrément qu’un peuple qui impose sa langue par la loi ne mérite pas de la parler. » Il écrit dans ses mémoires que ces béquilles législatives m’ont toujours paru foncièrement humiliantes. La loi 101 apparaissait comme un rempart à toute épreuve pour la langue et l’avenir national lui-même. Trop, probablement. Je me demande encore si ce sentiment de sécurité béate n’aurait pas contribué sournoisement à affaiblir le OUI référendaire ».
Le financement partisan
René Lévesque par lui-même. « De toutes les réformes que nous avons pu mener à bien, voici celle du financement démocratique des partis politiques dont je serai toujours le plus fier. Celle également qu’on ne laisserait ternir que pour un jour s’en mordre les doigts. »
Larocque précise que « les amendements à la loi du financement démocratique des partis politiques par le gouvernement de Madame Marois n’étaient pas des amendements. Ils étaient un renversement total du legs principal que voulait laisser René Lévesque à son peuple. Le financement démocratique des partis est devenu le financement étatique des partis. »
Comme l’a déclaré en novembre 2012 dans une entrevue au Devoir le « père » de la loi du financement démocratique des partis Robert Burns, « aujourd’hui, l’orientation de départ est faussée et même renversée. On substitue le financement de l’État au financement populaire. On substitue les partis politiques à la volonté populaire. » Dans le même article, l’ex-ministre de la Réforme électorale et parlementaire dans le gouvernement de René Lévesque affirme qu’un parti qui n’est pas capable de vivre par le financement de ses membres ne mérite pas d’exister : « Les partis doivent naître, se maintenir et, au besoin, mourir en fonction de la volonté citoyenne, pas autrement. »
Larocque commente. « En amendant cette loi, le gouvernement de Pauline Marois descendait en flammes la réforme qui était celle dont René Lévesque disait qu’il serait toujours le plus fier ! »
Larocque écrit. « À priori, il est difficile d’imaginer que cette réforme voulue et adoptée par René Lévesque était pour lui plus déterminante pour sa carrière que, par exemple, la nationalisation de l’hydro-électricité ! C’est que si le grand exploit de la nationalisation a été un super propulseur de l’économie du Québec, la loi du financement des partis politiques constituait l’assise d’un exploit plus grand encore : la souveraineté populaire ! Pour s’y comprendre, il faut encore une fois se concentrer sur le cœur du message de René Lévesque, la démocratie, le pouvoir populaire, le pouvoir citoyen.
Dans les institutions politiques qu’on nous présente souvent comme un legs de liberté, le pouvoir est sous le contrôle direct, permanent, incontournable non pas du peuple mais des partis politiques. »
Le modèle démocratique
En conclusion générale. « Sous le modèle britannique, le peuple n’élit pas le gouvernement. Il élit des candidats de partis qui détermineront la désignation du chef du gouvernement. Le peuple élit des députés responsables de voter les lois, mais l’adoption des lois est strictement sous le contrôle du parti dominant. « Le parti dominant ne l’est pas par la volonté du peuple mais par les bizarreries d’un mode d’élection que René Lévesque a qualifié de démocratiquement infect. On pourrait y aller indéfiniment, mais en un mot, les institutions politiques britanniques n’instaurent pas une forme de démocratie. Elles instaurent une partitocratie, forme d’usurpation du pouvoir citoyen par les partis politiques. »
L’ancien sous-ministre en rajoute. «Depuis toujours, nos médias sont souvent d’une superficialité phénoménale et n’y ont vu qu’une loi sur la comptabilité des partis ! Or la «loi 2» ne portait pas d’abord sur les entrées et sorties financières des partis. Elle portait sur la propriété même des partis politiques. En démocratie, si les partis ne sont pas la propriété donc sous le contrôle bien réel des citoyens, il n’y a pas de démocratie. »
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(1) Le présent texte ne constitue pas un appui ni une critique des événements et prises de position que l’auteur rapporte à partir essentiellement du témoignage de André Larocque paru en mai dans la revue L’Action nationale. Il en reconnaît par ailleurs toute la pertinence dans le débat qui s’amorce à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de René Lévesque.
(2) René Lévesque – Attendez que je me rappelle, Éditions Québec/Amérique, 1986, 525 pages