L’exercice de la démocratie est un métier de rebelle. La lutte contre les envahisseurs, barbares, pirates, boursicoteurs, spéculateurs ou autres prédateurs – qui entendent s’approprier les récoltes sans participer au labour, prendre le pain sans le pétrir, ponctionner les économies sans partager l’effort du travail – a toujours fait partie de l’histoire des peuples et n’est jamais terminée.
Le choix des armes
Le peuple se défend comme il peut. Parfois, dans un moment de distraction, il se laisse surprendre et dépouiller. Mais il finit par organiser la résistance.
Disproportion des forces en présence? Oui. À première vue. La répression peut avoir recours à la violence légale de la police et de l’armée. Le pouvoir, qui se considère toujours, plus ou moins consciemment, de droit divin, dispose d’un puissant appareil pour imposer son discours et justifier ses actes. Il profite de tout. Les rebelles n’ont pas nécessairement le choix des armes. Pour des raisons de stratégie et d’économie, sinon de morale, la rébellion sera faite le plus souvent de manifestations, boycottages, résistances passives, grèves. Ce qui exige une large mobilisation. Ainsi, les révolutions sont toujours populaires ou ne sont que des mascarades : révolutions de palais ou coups d’état.
Le courage et la solidarité pallient aux limites du « budget de la défense », l’imagination au manque de sophistication des armes. Ce qui exige beaucoup du rebelle qui doit être tout à la fois un stratège, un créateur, un philosophe et un animateur.
L’esprit rebelle traverse l’Histoire, sans toujours l’écrire. Les envahisseurs, barbares, pirates, boursicoteurs, spéculateurs ou autres prédateurs, quand ils sont au pouvoir, embauchent des scribes qui corrigent le passé et inventent le présent.
Il a fallu des clameurs énormes pour que l’Histoire retienne les colères des populaires : l’insurrection des esclaves de Rome, les révoltes populaires au Moyen-Âge, la révolution française, la révolution russe, la révolution espagnole qui ont fait un travail sans doute nécessaire, mais qui ont laissé des traces sanglantes dans les mémoires.
En lisant les petits caractères dans les manuels, on trouvera aussi des échos de luttes, pour l’essentiel non violentes, aux Indes, ailleurs en Asie, en Europe (notamment en Europe de l’Est), en Amérique du Sud, et même en Amérique du Nord : grèves générales, manifestations de masse, mouvements de résistance pacifique qui ont fait basculer des régimes apparemment immuables.
Les artistes comme avant-garde
Des artistes, en général du côté du peuple, du moins s’ils ont du talent (qui vient toujours du cœur autant que de la raison), sèment dans le vent des farces, des chansons, des livres et des danses qui gardent les traces des joies et des souffrances, des défaites et des victoires. L’Histoire, paradoxalement, a oublié plusieurs, sinon la plupart de ces créateurs qui ont enrichi les traditions populaires.
Il y a des monuments à faire à la gloire de l’artiste inconnu.
Les chansonniers ont précédé les sans-culottes. La « poétocratie » a largement contribué à faire naître une nouvelle Norvège. On a vu, à l’Est, des poètes sur les barricades lisant leurs œuvres à la foule. En 1969, au Québec, Poèmes et chansons de la Résistance a constitué un point culminant d’une mobilisation au cœur de laquelle on retrouvait des créateurs et des artistes.
Le contexte change sans cesse, mais les mêmes luttes restent toujours à refaire. On pense par exemple à celles qui, au Québec, ont donné la Révolution tranquille. Aussi tranquille qu’elle fut, cette révolution avait pourtant amorcé des changements profonds, aujourd’hui remis en question. Le champ de bataille est désormais à l’échelle du monde. De nouvelles forces surgissent, se reconnaissent et se rejoignent, dans les deux camps qui s’affrontent. Principe d’auto-organisation du Chaos appliqué à la société. Du côté des rebelles, des forces porteuses d’espoir, mues par l’imagination et la pensée critique, œuvrent à l’échelle de la planète. Ce renouveau coïncide avec une nouvelle résistance, nourrie de valeurs de paix, de solidarité, de droits de la personne, du respect de toute vie.
Qui? – quels artistes d’ici et quels créateurs? – rejoindra encore l’avant-garde de ceux qui, sur toutes les places du monde, armés de guitares, de claviers, de violons, de caméras, de pinceaux ont entrepris de chanter l’heure de la mobilisation générale? Un peu dans l’esprit de Playing for change peut-être, cette création musicale collective, mise en ligne depuis déjà août 2011, qui réunit via le web des artistes et des peuples en dépit des frontières.
Voilà qui arrivera bien à nous éveiller, nous qui paraissons profondément plongés dans le silence et la désespérance.