Et si nous faisions l’exercice de déterminer quelle est notre religion?
Je suis souvent impressionné par la réaction sanguine des Québécois lorsque nous parlons de religion (je prends ici le contexte québécois mais ce type de réactions s’observe dans de nombreuses autres sociétés). C’est comme si chaque fois que nous en parlions, nous nous sentions menacés dans notre for intérieur mais aussi dans notre sentiment de communauté.
J’aimerais, dans ce billet, vous partager une hypothèse politique quant à l’origine et à l’impact possible d’un tel comportement. Celle-ci ne résulte pas d’une revue de littérature exhaustive mais simplement d’une réflexion citoyenne qui, je l’espère, contribuera à catalyser notre réflexion sur ce qui est nécessaire à un développement collectif sain.
L’avantage que possède la religion est qu’elle constitue, dans notre imaginaire collectif (c’est à dire avec les biais et les raccourcis de celui qui observe de l’extérieur), un ensemble de valeurs et de principes relativement clairs sur la manière d’être soi et d’être avec les autres.
Dans une conversation entre citoyens lambda (le terme n’a pas pour objectif d’être péjoratif mais désigne plutôt des citoyens qui ne sont pas des spécialistes de la théologie), pour prendre l’exemple de l’Islam, rares sont les nuances entre les différents courants (soufisme, chiisme, sunnisme ou encore wahhabisme) et donc les différentes interprétations (juridique, politique, mystique, etc.) des textes sacrés, ce qui résulte pourtant en des éthiques de vie particulièrement distinctes.
Une des raisons pour lesquelles les québécois réagissent de manière aussi vigoureuse à la religion me semble en partie, et c’est là mon hypothèse, du fait que celle-ci constitue un référentiel éthique clair à partir duquel ils peuvent déterminer sans détour si cela correspond ou non à leur idéal de vie et de vivre-ensemble.
Ils peuvent par exemple facilement se positionner quant à la place des pratiques religieuses dans le vivre-ensemble que prescrivent certains courants religieux. Plusieurs d’entre eux prescrivent aussi d’organiser la vie économique en fonction des pratiques religieuses ou encore de mener une vie d’ascèse où l’accumulation de richesses n’est bienvenue que si elle l’est pour être redistribuée dans sa grande majorité.
Il est donc naturel, et même sain pour le vivre-ensemble, que nous puissions confronter nos différentes visions de la vie et de la société et de décider, collectivement, celles que nous privilégierons dans les années à venir. Sans ce travail politique permanent (je ne parle pas de politique partisane ici mais de ce qui constitue le cadre du vivre-ensemble), nous prenons le risque que ces conceptions opposées voire contradictoires émergent un jour de manière brutale et induise une crise sociale majeure.
Mais pourquoi ne réagissons-nous aussi intensément que vis-à-vis des conceptions de l’homme et de la vie en société que portent les religions? Chaque québécois, même s’il se dit « sans religion », n’est-il pas porteur de conceptions du même ordre? Si oui, ces conceptions ne sont-elles pas suffisamment diversifiées pour engendrer parfois des écarts inconciliables qui justifient des discussions aussi intenses?
Je pense qu’une des raisons de l’affaiblissement du lien social et de notre sentiment d’appartenance à une communauté unie se trouve justement là. Du fait que nous nous pensons « semblables » (c’est à dire que nous possédons un ensemble de croyances diversifiées mais suffisamment cohérentes les unes par rapport aux autres pour ne pas générer de conflits irréconciliables) et que nous considérons les « autres » comme des « étrangers », nous ne faisons pas l’effort de dialoguer, de nous questionner sur ce qui nous relie et nous entendre sur notre projet commun.
Quel serait, aujourd’hui, le résultat d’un dialogue national où nous partagerions les valeurs et les principes de vie qui nous semblent fondamentaux pour réguler le vivre-ensemble? J’ai tendance à penser que le résultat serait l’illustration, dans notre société québécoise, d’une diversité poussée jusqu’à la coexistence de valeurs et de principes de vie inconciliables.
Si nous voulons lutter contre notre incapacité à mener des projets politiques visionnaires pour l’avenir, nous devons poursuivre notre questionnement individuel et collectif sur l’éthique de vie individuelle et collective que nous souhaitons et nous entendre collectivement. Nous pourrons ainsi capitaliser sur cette énergie collective qui provient d’une conviction profonde envers des valeurs communes.
L’étymologie du mot « religion » signifie entre autres « ce qui relie ». Le rejet viscéral de la religion par les québécois est historiquement légitime et cohérent avec le mouvement de « désenchantement du monde » qui caractérise les sociétés occidentales, mais la transition vers une société laïque ne doit cependant pas se faire au détriment de ce qui relie.