Comme d’habitude, j’hésite longuement avant de m’arrêter sur un sujet. J’ai pensé à «Culture et pandémie», mais finalement le seul sujet que j’ai envie de partager avec vous concerne… ma grand-mère!
Mon sujet ne traite pas d’action collective, mais comme d’habitude, je laisse mon cœur parler quand il s’agit d’écriture; et finalement, quoi de plus important que l’Humain? N’est-ce pas les rencontres qui nous construisent, nous transforment, changent le visage de nos collectivités? Comme le dit le Livre des proverbes: «Tout comme le fer aiguise le fer, l’homme s’aiguise au contact de son prochain».
Cette semaine c’était l’anniversaire de ma grand-mère. Elle s’appelle Jeanne Steinmetz, née J. Schwab, et a eu 92 ans. Ça m’a procuré une joie immense. Un sentiment de reconnaissance de pouvoir la célébrer, l’honorer, profiter de sa présence malgré la pandémie, la distance. Partager quelque chose avec elle.
Son anniversaire n’était pas festif comme elle l’a dit elle-même. Elle vit en France, à Strasbourg plus précisément, dans une résidence. Elle avait le droit d’une visite de 45 minutes. Ma mère et ma tante ont pu y aller ensemble. Pas de café, pas de gâteau, une aberration quand même pour une boulangère! Juste la présence de ses enfants. Ce n’était pas festif en effet. Comme d’habitude elle s’est plainte de son âge avancé, en me disant avec son accent alsacien : «Oyééé Maryline, je suis une loque!»
Mamie souhaite quitter cette vie. Elle pense que sa vie n’a plus de sens. Il faut dire qu’elle est enfermée dans cette résidence, seule la plupart du temps, depuis que la COVID a pris le contrôle de notre quotidien. Mais, la COVID a bon dos… Elle le pensait déjà bien avant. Elle estime que sa vie est derrière elle et qu’elle n’a plus rien à apporter. C’était une femme active. Une entrepreneuse. Des mots d’aujourd’hui. Elle a eu sa boulangerie et a été propriétaire d’une franchise dont j’ai oublié le nom. Elle m’a raconté avec beaucoup de fierté qu’elle a été à quelques reprises première franchisée de France. Quand je lui ai dit qu’elle était vraiment une entrepreneuse dans l’âme elle m’a rétorqué : «Yo, mais qu’est-ce que tu dis? Encore des mots de jeunes!»
Je raconte ça et je pense à mon papa, Célestin Nkoa. Parti, il y a 10 ans. Un entrepreneur lui aussi. Créatif, débordant d’énergie, de joie de vivre, courageux et sage. Il me manque. Avec le temps, malheureusement, certaines choses sont moins précises, comme le son de sa voix, son rire. J’ai souvent culpabilisé pour ça. Ces défaillances de ma mémoire. Ces souvenirs qui s’effacent. Mais, depuis peu, je réalise qu’au fond, le plus important, le plus grand héritage est qu’il continue de me façonner jour après jour. Dans mes orientations, mes décisions, dans qui je suis. Une marque que je peux difficilement partager et exprimer, mais qui est là pour rester et pour être transmise.
Mon mari a perdu sa grand-mère lui aussi, il y a quelques mois, Hadja Aissata Touré. 94 ans. Une femme dont j’ai peu profité de la présence, mais ce genre de personne que vous ne pouvez pas oublier. Quelques minutes auprès d’elle et ça y est, vous êtes marqué. Forte, pleine d’amour. Elle parlait peu le français. Et pourtant, on communiquait. Je ressentais son amour, sa chaleur. Quelle femme extraordinaire!
Mon billet semble plein de nostalgie ou de tristesse, mais en fait, il est rempli de vie. Ces aînés qui tracent nos routes, nos chemins, les éclairent par leur amour, leur présence, leur sagesse. Ces personnes qui laissent en nous des fragments d’elles et qui sont parties ou se sentent comme des loques alors qu’elles ont tant transmis et peuvent encore tant transmettre.
La vie est ainsi faite, mon père est parti, mais ma grand-mère est là. Alors pourquoi attendre qu’elle ne soit plus parmi nous pour l’honorer? Aimons-nous vivants, honorons-nous vivants.

Ma grand-mère aimait danser. Étonnement, dans mon souvenir je ne l’ai jamais vue faire. Elle m’a souvent raconté comment, après la guerre, à 17 ans, elle allait danser toute la nuit et revenait heureuse au petit matin, encouragée par son père. Elle disait qu’elle aimerait mourir en dansant. Je suppose qu’elle devait se sentir libre, vivante.
Son anniversaire n’était pas festif, mais elle a rigolé! Et ça faisait tellement longtemps que je ne l’avais pas entendue rigoler. Plus d’un an c’est certain. Et on a eu un moment de complicité. Elle a voulu me reparler d’une anecdote de mon adolescence, mais ma mère et ma tante étant proches, elle m’a dit qu’elle gardait ça pour plus tard parce qu’il y avait 4 oreilles de trop… Un moment de rire, de complicité qui m’a fait du bien. Quelques minutes avant de raccrocher elle m’a dit : «Que me reste-t-il à part ma famille?» Je lui ai répondu : «Mais ne te reste-t-il pas le plus important finalement?»
J’ose espérer que ce moment de bonheur l’aura accompagnée quelques jours, comme moi il m’a accompagnée toute cette semaine.
À Jeanne Steinmetz,
Aux vivants qui vous entourent,
À mon Papa,
À Hadja Aissata Touré,
Aux disparus de vos vies,
Aux relations brisées ou aux relations qui nous ont brisés,
À celles qui nous (re)construisent,
À la mémoire, à la vie.
6 réponses
Ma chère Maryline, ton talent et ta sensibilité m’etonnera toujours… quel bel hommage à nos aînés et personnes disparues !
Passe une belle semaine
Bisous
Maryline
Bravo pour ce vibrant hommage à ta grande mère. C’est aussi un message indirect qui nous fait pense à nos grands parents.
A travers tes mots, ton style d’écriture, les histoires courtes qui sont venues illustrer tes propos je me suis dit que tu as une graine non des graines d’Écrivain. Bravo et Courage
Magnifique ❤
Merci Maryline de nous rappeler l’essentiel; l’amour qui nous construit, qui nous fait rire et pleurer et surtout qui réconforte.
Magnifique 😍
Merci de l’avoir écrit !
Je retiens ces mots .
Aimons-nous vivant
Honorons-nous vivant !
Bonne journée!
❤️
Touchant témoignage d’amour, de transmission et de continuité. Merci ma chère Maryline pour ce beau billet.