Dans un texte publié le 27 août dernier dans le Journal de Montréal, Philippe Léger écrivait :
» Les jeunes désirent davantage se faire une place dans le système actuel plutôt que d’en construire un nouveau. Fini mai 68, l’interdiction d’interdire et la construction d’un monde nouveau.
Nous faisons face à une nouvelle jeunesse, qui considère peut-être le statu quo comme une bonne chose. Pour eux, individuellement, du moins.
Une véritable cassure avec l’attitude des baby-boomers, au moment de leur jeunesse, qui aspirait à faire table rase du passé pour repartir à neuf. Qu’on dise ce que l’on veut sur cette génération, ils ont eu l’audace d’essayer de changer un monde qui ne leur plaisait pas. »
Si ce constat que fait Léger était fondé et partagé par la majorité des jeunes ce serait désespérant. Mais serait-ce surprenant.
Avons-nous, nous les baby-boomers, véritablement essayé de changer le monde ? Au-delà de l’adhésion à une certaine idéologie en rupture avec le libéralisme économique et à des discours « révolutionnaires » pour plus d’égalité, au-delà de la multiplication des manifestations et des grèves pour une société plus juste, plus identitaire, plus écologique… qu’est-ce que la génération des baby-boomers a réalisé comme changement qui aurait pu modifier la trajectoire destructrice de notre mode de vie qui nous entraîne tous vers la catastrophe ultime?
Nous avons profité largement, et encore maintenant, d’un momentum de croissance économique particulièrement fort d’après-guerre que connaissaient tout particulièrement les sociétés occidentales, pour se définir une vie confortable et sécuritaire, s’offrant en prime le luxe d’intellectualiser sur les caractéristiques et les effets du « système » qui allait conduire à notre perte. Mai 68 en France a été un feu d’artifices qui ébranla une société figée auquel on aime associer le Printemps de Prague, mais la répression russe et l’oppression qui s’en est suivie n’ont rien en commun avec le réalignement de la France pour une intégration modernisée à l’économie de marché et à sa forme achevée qu’allait représentée la mondialisation.
Au Québec, la Révolution tranquille a été un tournant majeur pour sortir la société d’une époque archaïque qui s’éternisait. Par une modernisation de ses institutions et de ses leviers de développement, cette révolution a propulsé le Québec de plain-pied dans le « système » de production et de consommation devenu le Graal de la civilisation.
Comme partout ailleurs la critique du « système » est de mise au Québec et jouit d’une grande liberté d’expression. Elle procure une apparence de veille morale à la pratique du néolibéralisme tout en confortant la naïveté des résistants dans leur activisme Greenpeace inspiré des mouvements « Halte à la croissance », « Développement durable » et autres nobles projets pour la survie de l’humanité (la planète, elle, s’en sortira fort bien sans nous dans sa trajectoire sidérale).
Nous avons flirté avec l’indépendance. Le projet était fascinant. Les discours étaient séduisants. Se donner un pays, quelle perspective exaltante ! Or, par deux fois nous avons dit non.
« Le confort et l’indifférence » répète inlassablement Denis Arcand à travers son œuvre cinématographique.
Entendu hier à la radio : « Trump n’est pas la maladie, c’est le symptôme de la décadence de l’Amérique ».
Ce matin, j’apprends la démission de Nicolas Hulot, ministre de l’Environnement et de la Transition écologique en France. En claquant la porte, il déclare : » On s’évertue à entretenir un modèle économique responsable de tous ces désordres climatiques. » [voir un article à ce sujet]
Et le gouvernement Trudeau qui achète un pipeline pour désenclaver et vendre le pétrole le plus sale de la planète, après avoir clamé « We are back » à la Conférence de Paris sur le réchauffement climatique, laissant croire que la défense de l’environnement faisait un retour après les reculs du gouvernement Harper en ce domaine.
Et le président Trump qui relance l’industrie du charbon dans sa logique du « Make America great again ».
Toujours cette fuite en avant, car on ne peut ralentir la croissance à la source des emplois, du pouvoir d’achat, de la puissance militaire, des cotes de solvabilité sur les marchés internationaux, etc.
Et l’on voudrait que les jeunes aient d’autres valeurs, d’autres ambitions, d’autres aspirations pour eux et la collectivité locale et globale, que celles que nous leur avons si bien inculquées? Ils ne retiennent pas les paroles de nos discours intellectualisés qui n’ont aucune correspondance dans l’action, mais les gestes que nous avons posés dans la construction du monde actuel et que nous perpétuons dans l’actualité où nous sommes toujours présents et acteurs.
Et vogue la galère.
Une réponse
Puissant! Merci!