Mobiliser, disent les dictionnaires, c’est rassembler, faire appel pour une action collective. La connaissance, c’est le savoir acquis par l’être humain en cherchant constamment à assurer sa survie, sa sécurité et son bien-être.
Si, aux temps de la Renaissance ou de l’époque des Lumières, l’idéal humaniste propose le savoir universel des individus – ce qui apparaissait possible vu les limites du savoir -, l’évolution rapide des sciences oblige, dès le XXe siècle, à une vision différente et à disséquer les différents domaines de la vie humaine afin d’en mieux définir la profondeur ou la portée. Ainsi, se multiplient les spécialités.
En conséquence, dans les universités, le nombre de facultés, d’écoles et de départements ne cesse d’augmenter. Si anciennement un « universitaire » était un détenteur d’un diplôme émis par une université confirmant sa pensée universelle, on passe, à cause de l’ampleur du savoir, à une autre définition, celle de l’universitaire détenteur d’un diplôme d’une des facultés ou écoles d’une université. Les spécialités se précisent et triomphent. Le XXe siècle deviendra le siècle le plus prolifique sur le plan du savoir-faire (l’exploitation des ressources de la planète). Ce savoir-faire l’emportera sur la connaissance du savoir-être (le vivre ensemble des milliards d’êtres humains). Curieusement, ce XXe siècle, selon le directeur-général de l’Unesco, sera dans l’histoire du monde le siècle le plus meurtrier (deux guerres mondiales (1914-1918 et 1939-1945); 17 et 50 millions de morts!).
Au fil du temps, cette concentration de la connaissance du savoir-faire sans égard à la connaissance de savoir-être, est, en certains milieux, dénoncée. Chez les avocats, par exemple, un bâtonnier français écrivait au XXe siècle : « Pour un avocat, l’excès de spécialisation devient une forme d’incompétence. La spécialisation implique une rigidité intellectuelle alors que la solution à des problèmes humains requiert le maximum de souplesse, une grande ouverture d’esprit. » Avec nostalgie, il rappelait le bon vieux temps où l’avocat était un généraliste capable d’aborder tous les problèmes juridiques, économiques, sociaux, politiques et scientifiques et de plaider aussi bien en matière civile que commerciale, administrative, pénale et sociale.
Et que dire des soins de la santé alors qu’on compte autant de spécialités que d’organes et de composantes du corps humain. À l’occasion de ma présidence du conseil d’administration de la Société d’implantation du centre hospitalier de l’Université de Montréal, une des conclusions de notre projet prévoyait de décloisonner les différents soins médicaux et de les traiter par « domaines » et non par spécialités.
D’autres aussi réagissent. Des spécialistes en information, entre autres. Ceux-là n’hésitent pas à dire que l’abondance d’information tue l’information. Ou encore que la spécialisation limite le sens critique puisque souvent le spécialiste ne s’adresse guère à l’être global qu’est l’être humain.
Réactions aussi – et ce sont les plus fortes – devant les effets d’une mondialisation de l’économie et de la finance à compter des années 1980. On assiste à ce que des économistes qualifient de basculement du monde. Il est étrange, en effet, que les régimes politiques mis en place par les dirigeants des membres de l’l’Organisation des nations-unies produisent des effets contraires aux engagements consignés en 1948 dans une Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Pourtant, ce document solennel annonce un projet de société mondial, afin d’assurer à tous et toutes une vie digne!
Faut-il en déduire que, parmi toutes les sciences, celle de la connaissance de l’Homme est la plus difficile? Cet être hybride à la fois animal et raisonnable n’ayant réussi que des régimes politiques et économiques qui oscillent entre ce qu’on appelle le courant primaire, soit le courant créer par l’homme abandonné à ses instincts (ce que le psychologue Denis Cordonier appelle les « tyrans intérieurs » de l’Homme) et le courant civilisateur, qui fait appel à la capacité de raisonner de l’être humain où tend à s’affirmer un esprit de coopération et d’équité qui émane des aspirations humaines les plus profondes de liberté, d’égalité et de solidarité[1] (le philosophe Kant affirme que l’homme devient humain par l’éducation…).
Puisque le monde d’aujourd’hui est en feu. Puisqu’il n’est ni libre, ni égalitaire, ni fraternel pour la majorité de ses habitants. Puisqu’encore une fois on cherche des moyens de créer un meilleur monde. Et puisque l’homme et la femme deviennent humain et humaine par l’éducation, ne faudrait-t-il pas mobiliser les connaissances, en fixant comme objectif premier la connaissance de l’être humain et en faisant en sorte que toutes les spécialités aient comme objectif sa contribution à un monde où chacun et chacune aura une place et un rôle à jouer, un droit au partage, à la richesse globale que le savoir-faire a fait naitre, afin que tous puissent vraiment et de façon permanente vivre une vie digne?
Joseph Stiglitz, vice-président et chef économiste démissionnaire de la Banque Mondiale déclare dans son livre sur la cupidité : « Il est urgent aujourd’hui de repenser le monde, de réformer une science économique qui s’est fourvoyée, entraînant dans son sillage l’accroissement de la crise environnementale. » D’autres parlent de crise morale. Oui, le temps d’éduquer à la citoyenneté mérite d’être remis à l’ordre du jour.
[1] B. Gélinas, Revue Possible – vol.32. Numéro 3-4- 2008
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Bravos Monsieur Beland