Mes besoins fondamentaux versus ceux de Jeff Bezos (Écrire à la croisée, tome 3)

La très grande majorité des humains veulent juste vivre heureux, en santé, paisiblement et répondre à leurs besoins et aux besoins des gens qu’ils aiment. Trouver un sens à leur vie et leur présence sur Terre. Utiliser leurs talents et leurs forces pour laisser une trace et contribuer à la vie en société. Laisser un héritage pour qu’on se souvienne de quelque chose de leur passage.

Tu serais ici avec un café à la main, assis.e devant moi, et tu pourrais me demander quels sont les miens, mes besoins fondamentaux. Je te dirais ceci.

Un câlin, du repos, rire, des liens humains qui goûtent vrai et bon. Me sentir en sécurité dans les rues et les maisons de ma ville. L’absence de violence dans mon quotidien. Le consentement pour le partage de mon corps et de mon espace vital. Une marche en forêt qui sent bon et qui chante les oiseaux, surtout quand mon cœur est lourd. Des ami.e.s qui vont bien et que lorsqu’ils ne vont pas bien, savoir que nous vivons dans une société de solidarité, care et soutien mutuel afin que tout le monde puisse s’en sortir. Une famille de l’autre côté de l’océan qui vit dans un contexte sociopolitique qui lui permet de prendre soin de ses ainé.e.s et ses enfants. Mes propres enfants qui rient et qui ont espoir qu’il y aura de la vie pour eux sur cette planète, pis de la neige pour fêter Noël, même quand ils seront vieux et leurs enfants aussi. Des fleurs qui remplissent la nature de couleurs et de médecine, et connaître leur nom. Des abeilles qui trouvent ces fleurs en abondance. Des oiseaux qui remplissent le ciel et les rives du fleuve, et savoir reconnaître leur chant. Des zones naturelles intouchées par la démesure capitaliste extractiviste. De la musique pour remplir mes journées et me faire danser seule, avec toi ou dans une grande fête. Des livres, des œuvres d’art et des étincelles de joie dans les racoins de ma journée…  Une liste toute simple de besoins fondamentaux. 

Et que cette liste toute simple puisse être vérité pour moi, mais aussi pour toutes les autres personnes qui vivent sur les mêmes territoires que moi, dont mes collègues humains des Premiers peuples ainsi que ceux du Sud Mondial. Et que cette liste puisse être vérité et possibilité pour ce moi universel, ce moi qui se retrouve au centre de chaque individu, peu importe où il vit sur cette Terre, dans quelle famille il a grandi et dans quel corps il est né.

Jamais dans ma liste personnelle de besoins fondamentaux, je n’ai eu comme besoin premier de m’assurer de l’efficacité des paradis fiscaux. Mon bonheur ne dépend pas de la quantité de jets privés qui circulent au-dessus de ma tête. Dans ma vieillesse, si j’ai ce privilège de vieillir, je n’aurai pas de regrets de ne pas avoir assez engraissé les dirigeants et les actionnaires du GAFAM.  Je ne me soucie pas personnellement du chiffre d’affaires exponentiel de Jeff Bezos lorsque nos enfants, individuellement et collectivement, ne sont pas en sécurité. Sur mon lit de mort, si j’ai le temps de m’en rendre compte, je ne vais pas avoir une pointe de tristesse pour toutes ces multinationales qui n’ont pas encore arraché tous les arbres de toutes les forêts, ni harnaché toutes les rivières, ni creusé tous les sols et les montagnes de cette planète, sans jamais rien partager, ou presque pas. 

C’est quand même fou que, collectivement, on ait endossé la croissance économique à tout prix comme ambition ultime. Et que cette ambition ultime soit suffisante pour expliquer et justifier toutes les pertes de sens, de biodiversité et de stabilité climatique. Pour accepter comme normales toutes les injustices et violations de droits et libertés individuelles et collectives que nous rencontrons, à tous les jours, dans nos vies personnelles ou lorsqu’on se soucie un tant soit peu de ce qui se passe autour de nous – tout proche ou tout au loin là-bas. 

Un paradigme endossé au point de ne plus trouver les mots et les arguments pour clamer haut et fort que ça n’a pas de sens de réduire un arbre à la quantité de planches qu’il peut produire, une rivière à son potentiel hydroélectrique ou un humain à la quantité maximale d’heures de travail qu’il peut fournir au plus bas prix.  Que ce n’est normal que moi j’aie des conditions de vie pour vivre heureuse, mais pas une femme de mon âge avec trois enfants, elle ausssi, à 10 000 km d’ici, qui tente de s’en sortir avec moins de 1$ par jour.

Je ne trouve pas les mots pour faire comprendre aux élites économiques et systémiques de ce monde que ça n’a pas de sens de ne pas pouvoir répondre collectivement à nos besoins fondamentaux des uns et des autres alors que la vie est si riche. Que la vie a un sens plus large que les rapports de production qui nous unissent et nous objectifient les uns aux autres. 

À part ces mots, je n’en trouve pas d’autres. 

 

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