Monsieur le premier ministre François Legault,
Voyant se dessiner les grandes orientations et les stratégies conséquentes à votre deuxième mandat, je me permets de vous interpeller sur la vision et les choix que votre gouvernement entend mettre en œuvre, particulièrement pour les régions auxquelles la CAQ s’est identifiée depuis son accession au pouvoir.
Un sentiment d’abandon
Mobilisés par la gestion de la crise sanitaire, et soutenus par la constance des sondages favorables dans les régions, vous avez donc navigué, le vent en poupe, vers une victoire dont l’ampleur, reconnaissons-le, s’explique en bonne partie par la balkanisation du spectre politique, en toile de fond d’un système électoral inadéquat dont vous avez abandonné le projet de réforme.
Au final donc, les résultats de l’élection d’octobre montrent un Québec politiquement morcelé et une fracture profonde entre Montréal la métropole, Québec la capitale et les régions.
Lors de la campagne électorale, on a pu comprendre que votre slogan électoral – continuons – annonçait la poursuite, l’intensification même pour le deuxième mandat des politiques et mesures gouvernementales vouées au développement économique, votre préoccupation la plus importante dites-vous à qui veut l’entendre.
Mais plusieurs, dont je suis, ont malgré tout le sentiment que le parti des régions s’est principalement consacré, malgré lui peut-être, à la poursuite, à l’avancement et au financement des nombreux et coûteux projets montréalais reliés intensivement à la mobilité durable (transports, REM, métro, réseau routier régional, etc) et plus généralement au développement économique de la région métropolitaine. Et ce, toujours au nom du persistant et désuet paradigme selon lequel la région montréalaise constituera comme jamais le grand pôle de développement économique du Québec. Par effet de ruissellement, le reste du Québec profiterait des retombées économiques, une théorie largement utilisée depuis 50 ans qui a siphonné trop longtemps le potentiel régional des divers territoires québécois.
La révolution des territoires
Je ne prétends pas que les projets métropolitains sont exagérés, inutiles, trop dispendieux ou mal conçus, ni ne remets en question la prépondérance évidente de la conurbation montréalaise. J’invoque plutôt, au nom de l’équité démocratique et de la responsabilité du gouvernement du Québec dans le développement du territoire, la nécessité de réduire le déséquilibre désormais chronique entre les régions et le territoire métropolitain.
Au cours de son premier mandat, votre gouvernement n’est pas resté inactif, entre autres avec l’adoption de la politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire dont un des objectifs est de freiner l’étalement urbain dans la couronne montréalaise. On attend toutefois le plan de mise en œuvre.
Par contre, les élections d’octobre ont provoqué le report ou annulé des éléments importants de l’agenda gouvernemental soit : la refonte de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme; l’abandon (démission de Marie-Ève Proulx) d’une Stratégie de développement économique local et régional sur le territoire (Ministère de l’économie et de l’innovation); l’éventuel renouvellement d’une Stratégie gouvernementale et d’une Loi cadre pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires.
M. Legault, les politiques de votre gouvernement en ces matières devraient impérativement s’appuyer sur une authentique décentralisation, vers une effective et efficace autonomie administrative et financière des collectivités territoriales que sont les MRC, les municipalités, les régions et territoires publics. Cela implique donc, vous le savez, une réforme cruciale et courageuse de la fiscalité pour élargir et diversifier les revenus autonomes de ces corps publics.
De plus en plus nombreux sont ceux et celles qui attendent donc une véritable « révolution des territoires » telle que la nomme et la décrit Bernard Vachon, spécialiste en aménagement et développement territorial (voir Nous.Blogue.ca).
Une réforme qui devra s’installer, prendre racine et se développer dans la complémentarité, l’harmonisation et la cohérence, en rupture de la culture en silo des interventions gouvernementales. Plusieurs ont la conviction profonde que le Québec doit résolument s’engager dans cette direction, celle que René Lévesque avait d’ailleurs entrevue et proposée dès son premier mandat, y voyant la condition de base de prise en charge et d’autonomie des diverses communautés locales, régionales et nationales.
Le super ministre
Vous nous avez réservé quelques surprises, M. Legault, dans la composition et la distribution des mandats du nouveau conseil des ministres. Dont une de taille en choisissant, j’allais écrire en élevant, Pierre Fitzgibbon, de ministre de l’Économie et de l’Innovation à celui de super ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. En ajoutant à ses fonctions la responsabilité du développement économique régional, aussi responsable de la Métropole et de la région de Montréal.
C’est beaucoup pour une seule personne, aurait remarqué ma mère. Cela dit, nous ne doutons pas de la compétence et des qualités personnelles de M. Fitzgibbon, un authentique homme d’affaires, donc aguerri au démarchage en coulisses, habitué de brasser des affaires et d’en conclure.
Par contre, le super ministre est à l’évidence un individualiste interventionniste, qui est à ce point sûr de ses moyens et de ses connaissances qu’il peut faire preuve d’impatience voire d’arrogance dans le milieu gouvernemental et public.
Vous qui étiez dans les affaires avant votre saut en politique, vous avez à l’évidence une totale confiance envers votre ami, avec qui vous partagez manifestement le même credo économique. Au point de lui confier en quelque sorte l’intendance économique du Québec. On verra à l’usage bien sûr.
Mais il demeure que de concentrer la responsabilité de l’ensemble du développement économique de Montréal, de la capitale et des régions dans la tête d’une seule personne est une stratégie à la fois délicate et risquée. Délicate en raison des enjeux de pouvoir dans la lourde et complexe machine gouvernementale. Risquée parce que le Québec est une société devenue plus complexe, mais encore bien tricotée, où de multiples pouvoirs et contrepouvoirs, poids et contrepoids se disputent l’accès aux privilèges de ce qui est encore une sociale démocratie au service du plus grand nombre.
De la sorte, face à une métropole encore perçue comme trop favorisée, les régions du Québec se sentant toujours laissées pour compte pourraient développer une méfiance improductive, nourrie d’amertume, si le surhomme Fitzgibbon trébuchait sur une cause ou une autre dans sa mission salvatrice.
On l’a déploré le soir de l’élection, il n’est pas normal que Montréal, le pôle économique et leader du développement de la province, soit à l’écart du reste du Québec. Était-ce la faute des gouvernements ? À moins que ce ne soit le contraire, que ce soit la métropole elle-même qui avec le temps s’est délestée des régions du Québec.
Je vous suggère fortement M. Legault, d’ajouter ou de désigner à votre conseil des ministres un(e) titulaire responsable du développement régional et des territoires. Son premier mandat serait d’élaborer et faire adopter une Stratégie gouvernementale et une Loi cadre pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires. Pourquoi pas un super ministre des régions sur le même pied d’égalité que le ministre responsable du développement économique régional?
Mes respects Monsieur le premier ministre,
Laval Gagnon
5 réponses
Rerebonjour Élise
Décidément, il y a des jours plus difficile. Et j’en assume la responsabilité.
Les textes que tu m’a fait parvenir sont désuets car j’avais enlevé tous les commentaires de la première page qui concernaient les élections et les spéculations sur les enjeux électoraux.
Le texte que je t’envoie est celui que je t’avais envoyé (ou que je croyais t’avoir envoyé). Bref, c’est mon texte final.
J’espère de tout coeur qu’il est bien formaté. Si jamais il comportait des difficultés, je t’en enverrai un dernier recomposé.
Laval
Bonjour Monsieur Gagnon, nous ne comprenons pas ce qui s’est passé avec votre texte puisque nous n’avions fait aucune modification. Nous vous avons envoyé un courriel pour tenter de remédier rapidement à la situation. En vous remerciant de votre compréhension.
D’abord une précision… Malheureusement, mon texte « Lettre au premier ministre » a été esquinté (mise en page, mots en italique, etc) dans le traitement de la publication. Je m’en suis rendu compte hier, dimanche au retour du Salon du livre de Montréal. J’ai contacté l’édition de Nous.Blogue en espérant que les corrections se fassent rapidement.
J’ai lu évidemment votre excellent livre Rebâtir les régions du Québec. Je m’en inspire dans mes interventions afin d’étendre son rayonnement et son impact. Dans mon récent texte, j’ai voulu politiser le sujet, alimenter le débat. Je pense notamment prendre contact avec Paul St-Pierre-Plamondon.
Je vais bien sûr lire votre intervention au Congrès.
Je vous tiens au courant de mes initiatives.
Salutations cordiales !
https://geo.uqam.ca/babillard/invitation-lancement-du-livre-rebatir-les-regions-du-quebec-de-bernard-vachon-vendredi-18-novembre-2022-a-12h-a-luqam-pavillon-sherbrooke-salle-sh-4800/
Cliquez sur « Allocution…
Mon dernier billet, 4 novembre :
https://nousblogue.ca/la-caq-et-le-territoire-la-revolution-attendue-aura-t-elle-lieu/
À l’évidence, il y une convergence d’idées et de propos.
Vendredi le 18 novembre dernier, je prononçais une brève allocution à l’occasion du lancement (le quatrième) de mon dernier ouvrage « Rebâtir les régions du Québec. Un plaidoyer, un projet politique », dans le cadre du Congrès annuel du Regroupement des géographes du Québec qui se tenait à l’UQÀM. Voici le texte augmenté de cette allocution :
https://geo.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/70/Allocution_Vachon_Bernard_RGQ_18_11_22.pdf
J’y reprends de larges passages de mon dernier billet sur Nous.blogue, avec quelques ajustements et ajouts.