Le rituel des élections, partie 2

Rappel

Les rituels collectifs ont pour fonction, à l’aide d’actes codifiés et répétés chargés de sens, de créer un sentiment de cohésion, de prévisibilité, de sécurité, d’appartenance (se relier aux autres) et de définition des rôles. Dans cette perspective, les élections constituent un rituel et font partie de l’organisation sociale. Les rituels évoluent plus ou moins rapidement. Il est donc légitime de se demander quelle place ce rituel particulier occupe ou devrait occuper dans notre vie collective d’aujourd’hui, quels sont ses mécanismes et comment il contribue à façonner nos comportements collectifs.

Au niveau individuel, notre cerveau est programmé pour rechercher ces attributs. Allergiques au désordre, nous sommes continuellement à la recherche d’un ordre clair. Ce sont des conditions à notre survie depuis des centaines de milliers d’années. Sécurité, cohérence et prévisibilité, appartenance à un groupe réduisent les risques liés à l’inconnu et les politiciens et les « faiseurs d’opinion », ces illusionnistes, l’ont bien compris,[1] particulièrement lorsque notre futur apparaît rempli d’incertitudes et de doutes.

Je m’arrête ou je continue?

Et pourtant nos politiques en cette période électorale, peu importe leurs prétentions et leur couleur, refusent de remettre en question la source de ce qui nous a amenés dans ce cul-de-sac… Business as usual. On pourrait épiloguer[2] longtemps sur le sujet, mais en ce qui concerne la présente élection, la question qui me turlupine, c’est : Doit-on jouer le jeu de cette « démocratie marchande » qui ne sert au final que le « pouvoir » de ce système mortifère?

L’argument le plus utilisé pour nous convaincre de jouer le jeu de cette « démocratie » est qu’il s’agit d’un droit fondamental chèrement acquis, garant de notre liberté et de l’égalité entre tous ou les idées ont les mêmes valeurs et qui conséquemment permet de lutter contre l’arbitraire ou l’abus du pouvoir comme on le voit dans les pays totalitaires ou qui le seront sous peu… dans une galaxie près de chez vous. C’est peut-être aussi, avouons-le, l’occasion de faire pression afin de retirer quelques bénéfices à court terme qu’ils soient personnels, pour mon groupe d’intérêt (communauté ethnique, ainés, jeunes familles, amateurs de Formule 1 ou festivaliers, etc.), ma région?

Si ces arguments ont une certaine valeur et qu’il existe des besoins réels à combler particulièrement pour les démunis, ils perdent en pertinence dans un environnement ou le concubinage entre les hommes et les femmes des milieux politiques et des affaires est la règle et où les défis à relever demandent un désintéressement, des qualités éthiques, d’intégrité et d’empathie dans un contexte de ressources décroissantes ou la pression sur les gouvernants sera de plus en plus forte. Qualités que ni l’un ni l’autre de ces milieux ne possèdent en cette époque où tout est mesuré à l’aune[3] du PIB et du dividende à verser.

Au contraire, leurs talents sont totalement mis au service d’un système qui a besoin d’un climat social conciliant pour réaliser l’objectif premier de faire fonctionner la machine productive pour elle-même (croissance) et de lui assurer une consommation de masse suffisante à son fonctionnement (le système productiviste-consumériste). Peu importe les conséquences. Pour en juger, il ne s’agit que de regarder la surenchère de promesses lors des campagnes électorales et leurs impacts environnementaux ainsi que leurs conséquences sur notre santé physique et mentale. Pensons, à titre d’exemple, à ce qui se passe depuis des années à Rouyn-Noranda avec la Fonderie Horne et sa propriétaire la multinationale Glencore qui comme ses semblables n’a pas d’états d’âme.

Et pourtant, nous nous accrochons à notre mode de vie sans avenir pour nous et notre descendance comme un noyé à un brin de paille.

En fait, nous ressemblons à la grenouille placée dans un récipient contenant de l’eau froide chauffée progressivement, incapable de réagir à sa fin prochaine. Insensibilisé par nos comportements de fuite, de répétitions, d’addictions diverses pour combler le manque de sens à nos vies, de luttes identitaires et de déni nous voguons allégrement comme spectateur vers notre propre destruction.

Chut, chut, il ne faut pas le dire trop fort, on va faire peur… au monde et les priver d’espoir… Oublions que nous serons dans quelques mois 8 milliards de consommateurs. 8 milliards de vies à nourrir, loger, habiller, déplacer, chauffer, éduquer, soigner ou faire rêver tout en réduisant nos impacts. Mission impossible? Don’t Look Up[4]

 

1ère étape : Couper avec l’illusion/Accepter le déclin

2e étape : Non à l’utopie écologiste, oui à des communautés « économes »

Vous l’avez probablement deviné. Face au constat que nous sommes des partisans inconditionnels du chemin le moins anxiogène, que nous procrastinons depuis cinquante ans[5] et que le temps des sacrifices et de changements non contrôlés bien qu’annoncés depuis des décennies par les scientifiques a débuté, je ne peux plus me faire des à croire et ne peux plus cautionner ce système directement ou pas. Fini l’angélisme et l’illusion du vote stratégique. Sacrilège, inacceptable, irresponsable, individualiste, défaitiste, tueur d’espoir, rabat-joie, complotiste pourquoi pas? Don’t look up! Je vous entends. Eh bien oui, le déni, obstacle majeur à la recherche de solutions qui correspondent à la nouvelle réalité, ne me convient plus!

Aujourd’hui, j’affiche ma dissidence face à la croyance populaire, conscient d’agacer, de déplaire et d’être qualifié de catastrophiste. Catastrophiste certainement, mais pas plus que l’ONU qui dans son « Bilan mondial 2022 sur la réduction des risques de catastrophe » conclut à la probabilité d’un effondrement de la « civilisation » occidentale. Assez tergiversé[6]. Certaines portes doivent être claquées et j’en suis arrivé à la même conclusion qu’Albert Einstein « La folie, c’est de faire tout le temps la même chose et de s’attendre à un résultat différent! » Fini le discours euphémisé qui, au final, ne fait que maintenir « une soumission librement consentie ».

Addic au pouvoir, forgerons d’omissions, de demi-vérités, d’alliances douteuses, de promesses recyclées et rompues (pensons à la révision du système électoral), complices du grand capital et des multinationales, prisonniers du mythe de la croissance infinie dans un monde fini avec pour seule vision la prochaine échéance électorale, ces « acteurs » d’avant-scène du système productiviste-consumériste, ces politiciens incapables de se réinventer et de questionner les dogmes institutionnels comme la ligne de parti, d’accepter le monde nouveau qui se déploie sous nos yeux, esclaves du mirage technologique qui impose ses lois, nous demande à nouveau de leur faire confiance…. et de poursuivre notre course vers l’abîme. Pris à leur propre piège, que pouvons-nous attendre de ces anciens/nouveaux dirigeants construits sur le même modèle à quelques exceptions près? Conteurs d’histoires pour se donner bonne conscience, combler notre vide existentiel, entretenir l’illusion d’un meilleur demain, ils nous proposent la course à l’augmentation du PIB pour satisfaire notre insatiable appétit du tout maintenant, financer la lutte aux changements climatiques (sic), obtenir notre vote et surtout maintenir inchangée la structure même de la société avec son vieux système politique, ses rituels de serrage de main, de débats des chefs, de visites de RPA et d’entreprises lors des élections, son décorum, sa rhétorique et son vernis de respectabilité. Une véritable arnaque.

En cette période historique pour l’humanité, où les décisions ne peuvent plus être différées et où la responsabilité d’un changement structurel du système ne plus être déléguée aux individus, l’aveuglement volontaire de nos dirigeants, tout comme pour les avertissements de pandémies, demeure la norme malgré le dernier rapport du GIEC[7]. Comme le dit si bien Jean-Marc Jancovici : « Parler à un politicien de décroissance, c’est comme lui parler de Voldemort. Ça le glace d’effroi ». Et ce ne sont pas les pétitions, les tentatives de procès comme celle intentée contre le gouvernement canadien par ENvironnement JEUnesse pour son inaction climatique et rejetée par La Cour suprême du Canada ou les rapports d’experts qui vont y changer quelque chose. La démonstration est faite. « Nos élites conçoivent la croissance comme la solution à tous les problèmes ».

Non, la consigne des bouteilles de vin n’est pas une solution, mais bien une autre illusion. Un petit bonbon pour donner l’impression que le gouvernement prend les choses au sérieux. L’optimisme béat de nos élites, entretenu à grands frais de déclarations pompeuses et de propagande, d’investissements pour la galerie peu efficace, de mensonges et de maquillage des faits (pensons au 3e lien qui va supposément permettre de lutter contre les c.c.) constituent des distractions pour détourner l’attention de leurs véritables intentions.

Confondant volontairement niveau de vie (croissance matérielle et financière) et qualité de vie (répondre à ses besoins de base, amour, relations, entraide, culture, connaissance, etc.), aucun parti politique n’a la volonté de dire qu’il faut apprendre à vivre avec moins et que cela veut dire concrètement une restructuration de l’emploi et une baisse de revenus (en commençant par le haut) afin de diminuer la demande (la consommation) et le PIB[8]. Reconnaître réellement cet impératif que la dérive climatique, la pollution et l’épuisement des ressources ne peut être l’objet de négociations partisanes signifierait pour nos politiques, entre autres, de se centrer sur l’adaptation dans un contexte où l’énergie sera plus rare et plus chère et les revenus de l’État moindres. Cela impliquerait conséquemment de proposer des pistes d’interventions et revoir l’attribution de ressources afin de permettre aux communautés locales de développer leurs capacités d’adaptation en fonction de leurs propres caractéristiques (biorégions[9]). Small Is Beautiful. Il est urgent de revenir à une société à la mesure de l’homme[10]. Mais je délire, rien de cela ne va se produire volontairement et par miracle avec l’assentiment du peuple. Don’t Look Up!

Les vivants d’aujourd’hui sont les fameuses « générations futures » dont on parlait il y a quarante ans. Désespérant. Alors que le déclin de notre civilisation thermo-industrielle s’accélère et que la moitié de la planète subit le début des conséquences des changements climatiques, le mot adaptation ne fait même pas partie du vocabulaire de nos postulants à la « cour du roi ». Dans un tel contexte où le « despotisme doux » de l’État salvateur atteint ses limites et va durcir le ton dans un monde sous contraintes croissantes, Alexis de Tocqueville[11]philosophe de l’étude de l’organisation sociale et de la nature de l’homme, poserait certainement la question. Est-ce que : « THE SHOW MUST GO ON »?

 

[1] Notre cerveau sous influence | Nous.blogue (nousblogue.ca)

[2] Voir mes autres billets sur le blogue

[3] Ancienne mesure de longueur de tissu

[4]Don’t Look Up : Déni cosmique — Wikipédia (wikipedia.org)

[5] (598) Dennis Meadows – 50 ans après : A-t-on dépassé les limites planétaires ? – YouTube

[6] Probabilité d’un effondrement selon l’ONU | Yggdrasil (yggdrasil-mag.com)

[7] Les dix chiffres clés du dernier rapport du Giec sur le changement climatique en une infographie (novethic.fr)

[8] À noter que les politiciens ne sont pas les seuls à refuser d’aborder le sujet. À ma connaissance, la très grande majorité sinon toutes les associations et groupes écolos en font tout autant depuis qu’ils se sont institutionnalisés.

[9] Biorégion — Wikipédia (wikipedia.org)

[10] Small is beautiful — Wikipédia (wikipedia.org)

[11] Déjà au 19e siècle : « Tocqueville observe que les trois principales menaces pesant sur le régime américain sont : la tyrannie de la majorité, l’individualisme et le despotisme étatique ». Tocqueville: De la Démocratie en Amérique (Analyse) (la-philosophie.com)

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Une réponse

  1. Complètement en accord avec ce texte.
    Pour moi, je ne cesse de m’interroger sur le bien-fondé de ce fameux devoir du citoyen… Je n’arrive plus à remplir les cases avec honnêteté. Aller voter, c’est quelque part cautionner le fonctionnement de ce système mortifère, c’est cautionner sa continuité.
    Je suis devenu très mal à l’aise face aux choix qui me sont offerts, parce qu’au mieux, la seule option que je pourrais être tenté de soutenir, ne rejoindra que très succinctement, les véritables positions qu’il faudrait, selon mon point de vue personnel, prendre.
    Ne pas participer, c’est quelque part devenir solidaire de la planète… Mais que faire pour que ce geste prenne de la force?
    Merci pour ce texte.

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