Le rituel des élections, partie 1

Les rituels collectifs ont pour fonction, à l’aide d’actes codifiés et répétés, chargés de sens, de créer un sentiment de cohésion, de prévisibilité, de sécurité, d’appartenance (se relier aux autres) et de définition des rôles. Dans cette perspective, les élections constituent un rituel et font partie de l’organisation sociale. Les rituels évoluent plus ou moins rapidement. Il est donc légitime de se demander quelle place ce rituel particulier occupe ou devrait occuper dans notre vie collective d’aujourd’hui, quels sont ses mécanismes et comment il contribue à façonner nos comportements collectifs.

Au niveau individuel, notre cerveau est programmé pour rechercher ces attributs. Allergiques au désordre, nous sommes continuellement à la recherche d’un ordre clair. Ce sont des conditions à notre survie depuis des centaines de milliers d’années. Sécurité, cohérence et prévisibilité, appartenance à un groupe, réduisent les risques liés à l’inconnu. Les politiciens et les « faiseurs d’opinions », ces illusionnistes, l’ont bien compris[1], particulièrement lorsque notre futur apparaît rempli d’incertitudes et de doutes.

Le temps des désillusions

Alors que nos parents pouvaient occuper le même métier pratiquement toute leur vie et en tirer une certaine fierté, vivre dans le même bled avec le même monde pendant toute une vie, on se demande aujourd’hui si on aura encore son emploi demain même si celui-ci est en conflit avec nos valeurs (bullshit jobs[2]) nous invitant ainsi à remettre en cause les modèles de la réussite sociale et de L’American way of life (Great Resignation). Doit-on perdre sa vie à la gagner? Pourra-t-on encore se payer un loyer potable, le dernier modèle de l’auto publicisé à la télé, payer l’épicerie, car l’inflation fait des ravages? Mobilité des travailleurs, délocalisations, corruption, désillusion, rachats d’entreprises, rentabilité à tout prix, toujours plus vite sont les règles du jeu laissant grandir sournoisement le repli vers des sociétés restreintes aux caractéristiques tribales (raciales, linguistiques, culturelles, de genre, etc.), l’incertitude et l’anxiété. Pourquoi? On s’interroge. Où est le sens[3] de cette vie de fou où toutes les croyances semblent se valoir et où on me demande d’être plus productif, en continuelle compétition avec moi-même et avec les autres?

Où sont les codes, les règles et préceptes qui vont me permettre de donner une direction à ma vie et au « vivre ensemble » autres que consommer toujours plus, courir toujours plus, être stressé, toujours plus dans cette foule, aux croyances et valeurs bigarrées[4], formée d’inconnus?

L’ancien monde qui semblait pouvoir prédire demain disparaît, avalé à jamais par les cotes boursières. Attention! Baisse du PIB et de nos fonds de pension. À cela s’ajoute l’incertitude face à l’avenir de la planète. On s’en passerait volontiers. On ne veut pas y penser comme on ne voulait pas penser à une pandémie annoncée depuis des décennies. À quoi ressemblera le monde dans 2, 5, 10, ou 15 ans? Pas grave, je serai mort… Sinon, balayons sous le tapis… Mieux encore, nous traversons la rivière lorsque nous y serons rendus.

Les élections : entretenir l’illusion de progrès

Malgré le désintérêt qu’elles suscitent chez un nombre croissant et dont le décrochage électoral est une des manifestations, le sentiment de continuité, d’un monde encore cohérent, compréhensible, cette impression que l’on appartient à quelque chose et pouvons exercer un certain contrôle sur nos vies et notre environnement est de nouveau au rendez-vous pour une majorité. On aime croire que demain ressemblera à hier… que les choses vont se replacer et la vie reprendre comme avant…. Cela permet de surmonter les petits désagréments du quotidien. Après tout, il y a pire. De quoi se plaint-on?

Allergiques au désordre, nous sommes continuellement à la recherche d’un ordre clair. Face à notre désarroi, nos chantres locaux de la mondialisation et du toujours plus, source du bonheur, vont profiter à nouveau de cette occasion pour faire fonctionner leur machine à propagande afin de susciter le conformisme social, la bien-pensance et nous faire adopter leurs vues de façon mécanique et inconsciente en promettant de la stabilité, un avenir prévisible, plus confortable. Ils vont utiliser pleinement le rituel pour nous donner l’impression d’exercer notre pouvoir de citoyen et de consommateur en les élisant, d’où l’importance d’exercer son devoir de « démocrate responsable »… Car, pour fonctionner, le système a besoin d’une apparence de légitimité, d’obtenir une soumission librement consentie qui permet d’aligner les conduites individuelles avec les objectifs politiques, sociaux et économiques du « pouvoir ». Un pouvoir immoral, souterrain et sans frontières ou seule la perpétuation du pillage des grandes entreprises, l’expansion de leur territoire, des « serfs » dociles et une croissance obsessionnelle des profits comptent. N’en doutez pas, les oligarques, ces milliardaires et leurs suppôts, ces maîtres fantômes du jeu politique, ne sont pas confinés à la Russie.

C’est la promesse des « démocraties marchandes » ou les milieux des affaires et politique sont en parfaite symbiose. Progrès et développement. Du pain et des jeux. Des bonbons pour tous. Les enchères sont ouvertes… Un peu plus de ceci, un peu plus de cela. La révolution technologique, une subvention pour se payer une auto électrique pour lutter contre les changements climatiques (sic), des places en garderie, des lits supplémentaires dans les hôpitaux, assez d’argent dans vos poches pour continuer à consommer et en prime, un environnement sain, la lutte aux changements climatiques et la prolongation de l’autoroute et du métro. Enfin, et pour terminer, le Paradis à la fin de vos jours dans une Maison des aînés. Une croissance infinie dans un monde fini. Pourquoi pas?

Ah! J’oubliais. De la croissance économique (PIB), mais « verte ». Verte pour nous faire avaler la couleuvre d’un « capitalisme responsable, d’une consommation responsable ». Une autre manière de maintenir l’hyperconsommation et de donner bonne conscience. Car il faut créer de la richesse pour réaliser ses promesses. Une croissance financée par moins d’impôt surtout pour les entreprises et les mieux nantis, toujours plus d’endettement et de subventions aux créateurs de richesse pour qu’ils « demeurent concurrentiels ». Une « croissance » qui repose sur la désinformation, demande toujours plus d’énergie (en 2021, le monde a consommé un niveau record d’énergies fossiles, premières sources des GES)[5], plus de ponction dans les ressources naturelles non renouvelables, une urbanisation sauvage et la destruction d’un peu plus d’écosystèmes[6] pourtant essentiels à la biodiversité et à notre survie. Notre survie.

Mais peu importe. On veut « ménager la chèvre et le chou ». Dominés par la pensée magique nous voulons continuer à y croire et à ne pas trop savoir. L’environnement et l’économie sont conciliables. Certains espèrent encore que la transition socioécologique à grande échelle est possible même si le temps est écoulé et que cela s’avère techniquement impossible sans réduire drastiquement la production et la consommation. Croire à la fameuse transition énergétique c’est croire aux miracles. Les énergies renouvelables ne se substituent pas aux fossiles. Les GES n’ont pas diminué d’un gramme depuis la première COP tenu à Berlin en 1995 et pas plus le Québec, que le Canada, ne prévoient d’atteindre leurs objectifs ridicules de réduction d’ici 2030, date limite selon le GIEC pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, soit une diminution d’au moins 43 % des émissions de GES ce qui correspond à peu près à une diminution équivalente du PIB mondial sur 8 ans. Une COVID par année (récession de 5 %) pendant 8 ans. Pourtant, nos politiciens continuent de faire comme s’il était possible de lutter contre les changements climatiques et de poursuivre la croissance. MENSONGE.

Un monde pas mal plus compliqué

Cette fois, contrairement à d’autres périodes historiques, un supplément inédit avec des conséquences planétaires irréversibles et sans précédent pour la vie elle-même. Le monde que nous connaissons s’effrite. Les Nouvelles nous le rappellent chaque jour. Nos croyances, certitudes, et nos petites habitudes seront de plus en plus mises à rude épreuve. Climat déréglé, accélération de la perte de biodiversité et d’espaces naturels, guerres de blocs économiques interposées comme en Ukraine, injustices croissantes et pauvreté accrue, océans empoisonnés et vidés de leur contenu, chaînes d’approvisionnement rompues, récessions et crises financières à répétition. Dégonflé mon REER, dégarnies les tablettes d’épicerie, rationnement d’essence, chaleurs extrêmes (+51 °C au Pakistan, +48 °C au Mexique, +46 °C en Égypte), méga feux comme avec la multiplication des incendies en Europe du Sud et en Californie. Famines comme dans le Grand Sud de Madagascar ou en Somalie (25 000 personnes meurent de faim chaque jour dans le monde), guerres pour l’accès à l’eau comme dans le Sud-ouest américain ou au Moyen-Orient, chute de la production agricole et épuisement des sols, disparition du chocolat et du café… inondations à répétition comme dans certaines régions en BC, en Chine, en Inde et au Bangladesh, pandémies, réfugiés climatiques (25 millions de personnes au cours de l’année 2019) et économiques, institutions sclérosées, épuisées et impuissantes, politiciens discrédités et illégitimes, État-providence au ventre vide[7], le filet social????, chaos politique, social et économique… et barbarie comme au Sri Lanka et en Haïti ou en Ukraine et la Syrie.

Plus près de nous, alors même que La Servante écarlate[8] frappe à notre porte, la France, dans son expression démocratique, légitime l’extrême droite avec l’élection de 80 députés du RN (Rassemblement National). Face à un monde ou les repères traditionnels, ceux qui créent le sentiment d’appartenance et de solidarité, fonctionnent de moins en moins. Désemparés, nous nous tournons par compensation vers des solutions caricaturales et expéditives, donnant l’illusion d’un ordre clair. Alors, je ne peux m’empêcher de penser à ces manipulateurs et populistes, attiseurs de discorde de haut niveau, Trump, Poutine, Pierre Poilievre, Éric Duhaime, Jair Bolsonaro au Brésil, Boris Johnson en Grande-Bretagne, et à l’Allemagne de 1932 alors qu’Hitler, fraîchement élu, faisait son entrée au Reichstag (parlement) après plusieurs années de propagande nazie. Tout s’accélère. Qu’en sera-t-il ici?

OUFFFF! STOP! Vraiment un enchevêtrement de catastrophes en cascade qui vont se multiplier dans les prochaines années. Des crises grandes et petites, locales et internationales qui n’ont rien pour calmer nos neurones à moins de penser que nous les Québécois ne faisons pas partie du monde. Que nous sommes un peuple béni, avec des dirigeants d’exception.

 

[Fin de la partie 1, partie 2 à venir le 20 août.]

 

[1] Notre cerveau sous influence | Nous.blogue (nousblogue.ca)

[2] Bullshit jobs — Wikipédia (wikipedia.org)

[3] (598) #137 Sébastien Bohler : Quel sens à notre vie ? – YouTube

[4] Voir mon texte où je parle du rôle des rituels et des religions morales comme facteur de survie. L’anomie, ça vous parle ? | Nous.blogue (nousblogue.ca)

[5] 82% de la consommation d’énergie primaire et plus de 61% de la production d’électricité dans le monde En 2021, le monde a consommé un niveau record d’énergie – Transitions & Energies (transitionsenergies.com)

[6] En 25 ans, la Terre a vu disparaitre 10% de ses espaces sauvages (maxisciences.com)

[7] Sous perfusion, le père Noël se meurt | Nous.blogue (nousblogue.ca)

[8] Condition féminine dans La Servante Ecarlate (cosmo-orbus.net)

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