Dans les dernières semaines, j’ai lu en rafale les essais Les superbes : une enquête sur le succès et les femmes[1] et Je serai un territoire fier et tu déposeras tes meubles : réflexions et espoirs pour l’homme du 21e siècle[2]. En y ajoutant la couverture médiatique de la Journée internationale des femmes et celle du départ de la chroniqueuse Judith Lussier, un tourbillon printanier m’a emportée. Devant les visions d’espoir, les injustices, les progrès, les reculs, j’ai renouvelé ma conception du défi de l’égalité femme/ homme sous l’angle de l’influence des stéréotypes genrés sur notre développement.
Pour être certaine qu’on l’on soit sur la même longueur d’onde (et parce que mon autocorrecteur ne reconnaît pas le mot « genré », alors peut-être que vous non plus!), je parle ici de préjugés sur des traits « dits » typiquement féminins ou masculins, tels « les femmes sont douces », « les hommes sont forts » … ce qui mène à des idées préconçues sur ce que devrait être une femme ou un homme.
Malgré de grandes avancées, ces stéréotypes ont la couenne dure! On avance peut-être à pas de tortue, mais il me semble qu’on parle de plus en plus de l’impact des stéréotypes genrés sur la socialisation des filles. Je constate par contre que j’avais sous-estimé leur impact sur la socialisation des garçons. Je les croyais plus libres. À la lecture de l’essai de Steve Gagnon, qui a réalisé des entrevues avec de jeunes adolescents du secondaire, j’ai compris qu’ils ont eux aussi une montagne sur les épaules avec ce qu’ils croient être un homme. Bref, on a construit des carcans bien rigides. Encore aujourd’hui, la norme sociale aura tôt fait de faire sentir aux enfants qu’ils dépassent les lignes lorsqu’on dira d’une fille qu’elle est « tom boy » ou d’un garçon qu’il est « efféminé ».
Malgré tout, j’ai l’impression qu’on progresse tranquillement sur ce front. Du progrès par doses homéopathiques, mais une reconnaissance grandissante de l’enjeu dans l’espace public. On en a peut-être marre de la Reine des neiges, mais c’est la première fois qu’une princesse de Disney a un autre but dans la vie que de trouver un prince.
Si l’on regarde maintenant les structures de pouvoir avec la lunette des stéréotypes genrés, on sait que les normes dépeignent avec plus d’aisance les hommes au pouvoir. On connaît aussi les chiffres sur le déficit de représentation des femmes en politique, à la tête d’entreprises ou dans des conseils d’administration. Cela dit, ce qui m’a sauté aux yeux pour la première fois, c’est la nature du changement qui doit s’opérer pour que tous accèdent au pouvoir.
Ma nouvelle vision de la chose, c’est que ce n’est pas tant une lutte entre les personnes de chaque sexe, mais plutôt une lutte entre nos deux monstres de stéréotypes. D’un côté, une caricature d’homme, de l’autre, une caricature de femme. Je parle d’une lutte, mais je pense surtout qu’en mettant tous les attributs à plat, on réaliserait qu’on a besoin d’une diversité d’attributs, tant ceux « dits féminins » que « dits masculins ». Je m’explique…
Dans le livre Les superbes, il est souvent question du « boys club ». En parcourant les récits des femmes et en me remémorant ma propre expérience, j’ai réalisé que le fameux « boys club » c’est certes une histoire d’hommes, mais surtout une histoire d’hommes blancs, du monde des affaires ou de professions libérales. C’est un club hyper-homogène, hyper-codé. Je crois qu’il s’accommode mal de la différence, quelle qu’elle soit.
Bref, je pense qu’il est temps de casser le moule et non de jouer le jeu du club. « Exit » le bon père de famille (peu importe ce que c’est censé vraiment vouloir dire)! Des années de ce régime-là nous ont menés ici, au basculement de monde… Des années de modèles de leadership narcissique, pas de gris, pas d’émotion, pas d’hésitation, pas d’excuse. Et si des qualités « dites féminines » nous manquaient cruellement? Que dire de l’empathie, de la douceur, de la solidarité, de l’humilité? Pourrait-on arrêter d’y voir des signes de faiblesse? Peu importe qu’ils s’incarnent chez une femme ou chez un homme…
Alors voilà que j’ai ravivé ma flamme féministe en voyant différemment le plafond de verre. Ce qui est toutefois paradoxal, c’est que dans cette nouvelle conception, au lieu d’aplanir les différences, ou de jouer le jeu, il faudrait plutôt mettre les attributs qui se démarquent bien en vitrine. Multiplier les modèles. Laisser entrer la diversité. Bref, en plus de faire plus de place aux femmes, il faut éclater le genre du pouvoir!
[1] Clermont-Dion, Léa et Marie-Hélène Poitras (2016), Les superbes : une enquête sur le succès et les femmes, édition vlb, 256 p.
[2] Gagnon, Steve (2015), Je serai un territoire fier et tu déposeras tes meubles : réflexions et espoirs pour l’homme du 21e siècle, Atelier 10, essai no 8, 84 p.