Mais qu’est-ce que le G2, vous demandez-vous? Un comité de travail du G8 ou un nouvel effluve d’une marque de parfum de luxe? Nenni, il s’agit… d’un simple coup d’œil pour attirer votre attention sur Grenoble et Gatineau. Grenoble, reconnue comme berceau d’innovation sociale et technologique, tenait au printemps la deuxième Biennale de l’habitat durable qui fut l’occasion du dépôt d’une évaluation triennale du projet de développement urbain nommé La Caserne de Bonne. Gatineau, en voie d’adoption d’un second plan d’action en développement social, vient pour sa part de terminer un processus de consultation publique.
Éloignées l’une de l’autre dans leur objet et leur forme, les expériences de Grenoble et de Gatineau se rencontrent toutefois sur un terrain commun soit la nécessité de réinventer les processus de consultation publique, enfermés souvent dans des approches formelles et des discours professionnels dans lesquels les citoyens se reconnaissent peu.
Le projet de la Caserne de Bonne visait le redéveloppement d’une ancienne zone militaire au cœur de Grenoble. Ce site est devenu le premier Écoquartier de France et la Ville a eu la sagesse de procéder à une évaluation triennale depuis que les habitants y résident et y vivent au quotidien. Les citoyens du Grand Grenoble se sont également appropriés ce nouvel espace pour sa qualité environnementale, 85% des personnes croisées dans les espaces publics résident dans d’autres quartiers. Bonne est devenu, non pas une enclave écologique réservée à une élite, mais un quartier ouvert, en continuité avec la trame urbaine, attractif, comptant avec une bonne mixité sociale. Succès technologique (de nombreux bâtiments produisent plus d’énergie qu’ils en consomment), primauté du transport collectif, services de proximité accessibles à pied, espaces publics dédiés à la rencontre des citoyens de tous les âges, voilà qui caractérise la Caserne de Bonne.
Les citoyens ont bien sûr été consultés sur ce vaste projet de redéveloppement urbain. Mais l’évaluation nous indique aussi que la consultation traditionnelle comporte des failles. Trop souvent, comme c’est le cas au Québec, elle reste orientée vers une recherche d’adhésion des citoyens envers les projets définis préalablement par des experts.
À Grenoble, à titre d’exemple, la recherche de l’efficacité des technologies de l’environnement a négligé le vécu réel. Le fait de ne pas pouvoir ouvrir les fenêtres dans certains immeubles a été au cœur de débats. Si la technologie peut parfois assurer une grande qualité de l’air et garantir des économies d’énergie, l’interdit d’ouvrir a été vécu pour certains comme un univers carcéral, créant l’impression de ne pas être en harmonie avec la nature ambiante. Les jardins intérieurs, nommés cœurs d’ilôts, posent souvent un problème d’usage. Leur fréquentation est vécue comme dérangeante par les résidents immédiats alors qu’ils ont été conçus comme des lieux de rencontre par les experts. La recherche d’un milieu écologique semble parfois avoir parfois négligé la dimension sociale de l’écologie au profit des technologies.
Les processus de consultation prennent trop souvent place également à des étapes où il devient plus difficile de changer les choses. De nombreux citoyens ici même peuvent témoigner de la non-prise en compte de leurs propositions lors de consultations publiques parce que les plans ne peuvent être changés à cette étape, parce qu’on a déjà trop engagé de ressources financières ou réalisé de travaux préalables, parce que le processus d’approbation est en cours…!
Au-delà de l’expérience de la Caserne de Bonne, l’expérience de Grenoble montre que la participation traditionnelle fait face à de nombreuses embûches. Le « toujours les mêmes » existe autant en France qu’au Québec. Par contre, le détournement des processus de participation par les opposants politiques semble être une donne nettement plus importante en France. Souvent même, la participation est monopolisée par des groupes d’intérêts qui ont certes leur place mais ne peuvent prétendre être les seuls dépositaires de la parole citoyenne.
La culture et le langage hermétique des professionnels créent une distance considérable avec nombre de citoyens qui se sentent disqualifiés dans de tels processus et se démobilisent rapidement, quand ils ont osé s’y frotter. Ce défi, le plus important, me semble-t-il, oblige une réflexion sur la prise en compte des expertises (celle essentielle des experts et celle tout aussi importante des citoyens qui vivent au quotidien le résultat des grands projets), sur leur reconnaissance et sur leur mariage.
Après les grands projets, Grenoble, avec la nouvelle équipe politique en place, s’oriente vers une participation de proximité au fil du quotidien et de l’environnement immédiat des citoyens. Construire une plus grande participation repose sur une démonstration claire de la prise en compte des attentes des citoyens, avec, par, et pour eux, sur des questions qui les touchent de près, souvent au quotidien dans leur environnement immédiat. La résolution d’une question de propreté ou de sécurité dans le quartier sera souvent une démonstration plus tangible de la prise en compte de la parole citoyenne et de la reconnaissance de la mobilisation et de la participation, des individus comme des organismes de quartiers. C’est peut-être à ce niveau d’ailleurs qu’on pourra apprendre à inventer des modes de participation véritablement plus inclusifs et desquels on pourrait apprendre.
Grenoble, ville inspirante!!
Pour sa part, l’expérience de Gatineau s’inscrit dans la poursuite d’une Politique de développement social en place depuis cinq ans. L’élaboration d’un second plan d’action a été le prétexte d’une nouvelle ronde de consultation publique. Or les gestionnaires en place participent à la réflexion voulant soutenir une participation citoyenne élargie. Sans tout révolutionner, cette ronde de consultation qui s’est terminée en juin a été l’occasion de créer un environnement permettant d’aller un peu plus loin que la consultation publique traditionnelle. Ainsi les organismes du milieu (organismes communautaires, associations de quartiers…) ont été conviés à prendre des initiatives non encadrées. Les exemples suivants témoignent de cette recherche d’innovation, en consultant non pas sur une proposition documentée par des experts, mais bien en amont par quelques questions amenant les participants à poser un diagnostic sur leur milieu et à établir des priorités d’action.
Le Centre de pédiatrie sociale de Gatineau avait mis en place récemment un Comité du droit des enfants qui a profité de l’occasion de se faire entendre. Ce sont des enfants de 10à 12 ans qui se sont présentés à la Mairie comme « experts en droits des enfants », qui ont analysé leur quartier et sont venus déposer des propositions concrètes pour le rendre plus sécuritaire, convivial et solidaire. Il fallait entendre la voix de ces enfants qui ont aussi observé des besoins de personnes âgées et handicapées, et d’itinérants, sans se limiter à leurs propres aspirations d’enfants.
C’est aussi l’initiative de l’Office municipal d’habitation qui a réuni des résidents, jeunes et autres, pour faire part de la lecture de leur milieu et des actions que la Ville devrait prendre ou soutenir. Il fallait bien entendre ces adolescents « à casquette » décrocheurs scolaires, autour d’une table de réflexion pendant trois heures, et quitter en disant qu’ils ne pensaient pas à trouver plaisir à parler de ce qu’ils vivent, et surtout de s’être senti écouté.
Ce sont des citoyens de quartiers, en bonne partie de milieux défavorisés, regroupés par des associations, qui sont venus en groupe prendre part aux délibérations pour une première fois dans leur vie.
À cela s’ajoutent des rencontres des élus, souvent limités à voter des plans ou projets bien dessinés par l’administration mais qu’ils ne peuvent influencer alors qu’ils sont élus pour cela. Ces élus ont certes été présents dans les rencontres publiques mais ils ont pu aussi se faire entendre en amont et il est réjouissant de constater, après l’analyse, la remarquable convergence entre leurs observations et priorités et celles des citoyens pris individuellement, et des organismes.
Enfin, les nouvelles technologies ont aussi permis une participation par le web. Les jeunes, généralement absents des consultations publiques, sont cette fois fort bien représentés.
Si cette démarche ne révolutionne pas la participation citoyenne, elle s’inscrit néanmoins dans la recherche de nouvelles façons de faire. Il faudra aller plus loin, beaucoup plus loin, mais comme on dit, l’important c’est de créer le mouvement et les conditions favorables. Et faire en sorte que les processus de consultation participent à l’inclusion sociale.
Chacune à leur manière, Grenoble en France et Gatineau au Québec, s’inscrivent dans un mouvement visant une plus grande participation citoyenne.
Note : L’auteur est consultant pour la Ville de Gatineau en matière de développement social. Il remercie particulièrement Madame Julie Gauthier, de la Ville de Grenoble, ainsi que Monsieur Pierre Dutel, de l’Association des habitants du Grand Grenoble, pour avoir partagé leurs réflexions avec lui lors de la biennale 2015.