Le développement régional, ce mal-aimé (Partie I)

Bernard Vachon, Ph.D.

Professeur retraité du département de géographie de l’UQAM

Spécialiste en développement local et régional

Décentralisation et Gouvernance territoriale


La fracture qui se creuse entre le Québec des métropoles et le Québec de la périphérie a deux causes principales : 1. nos élites dirigeantes sont obsédées par la croissance des aires métropolitaines de Montréal et de Québec perçues comme locomotives économiques et sociales exclusives du Québec; 2. Ces mêmes élites entretiennent une méconnaissance désolante des mécanismes de développement des régions et de leur contribution à l’identité et à la prospérité de la société québécoise toute entière.

En région, le développement repose très largement sur les petites et moyennes entreprises (PME). Or, pour naître et croître, celles-ci requièrent des milieux qui soient attractifs en termes de cadre de vie et d’accès à des services diversifiés et de qualité aux familles, et compétitifs en termes d’infrastructures, d’équipements et de services offerts aux entreprises. Les PME se développent en symbiose avec leur milieu. Cet environnement moderne propice au développement des PME rejoint par extension le concept de « territoire intelligent ».

Les Centres locaux de développement (CLD), les Conférences régionales des élus (CRÉ), la Politique nationale de la ruralité et son Pacte rural, Solidarité rurale, les carrefours Jeunesse-emploi, les forums Jeunesse régionaux, etc. aujourd’hui abolis ou affaiblis par les mesures d’austérité, étaient autant de structures et d’organismes dédiés précisément à renforcer l’attractivité et la compétitivité des territoires en région, à faire émerger des initiatives de développement et à accompagner les porteurs de projets à caractère économique ou social.

La création d’une entreprise en région est rarement un fait spontané ou le résultat d’une délocalisation du centre vers la périphérie. C’est plutôt le résultat d’une maturation, d’une incubation de germes issus du milieu et adéquatement stimulés et encadrés par des actions publiques qui originent, pour certaines, de programmes nationaux territorialisés, pour d’autres de politiques locales. La responsabilité des acteurs locaux et régionaux à l’égard de ce processus est grande et il importe que ceux-ci aient à leur disposition des outils appropriés, décentralisés, qui prennent en compte les spécificités territoriales.

Brutalement démunies de leurs outils et expertise de développement, méprisées dans leur existence, les régions se sentent trahies, abandonnées. Le gouvernement leur tourne le dos et se laisse séduire par les mirages de la Métropole et de la Capitale. Faut-il s’étonner de la grogne des élus locaux?

Ce virage au détriment des régions intermédiaires et périphériques, alors que le gouvernement fait preuve d’une écoute et d’une ouverture généreuse aux revendications de Montréal et de Québec, pourrait avoir pour résultat une accentuation de la fracture entre métropoles et périphérie. Avec les conséquences sociales et économiques qui en découlent.

En finir avec Montréal locomotive économique du Québec

Sous le charme des sirènes de la métropole, MM. Couillard, Coîteux et Moreau renouent avec les recommandations du rapport Higgins, Martin, Raynaud de 1971 (HMR)[1], lequel considérait Montréal comme la locomotive économique du Québec devant être l’objet de toutes les attentions puisque son dynamisme allait, prétendument, se déployer sur l’ensemble des régions.

Or, cette perspective n’a pas survécu à l’épreuve du temps comme l’ont démontré plusieurs études dont celles du groupe de recherche du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO)[2]. Et tout récemment, le 11 novembre dernier, l’Institut du Québec publiait une étude intitulée Montréal: boulet ou locomotive? Concernant la puissance de Montréal et ses effets d’entraînement pour assurer le dynamisme du reste du Québec, l’étude se fait pour le moins nuancée. Le constat général remet en question un certain dogme :

« Montréal est une puissante locomotive, mais elle sous-performe au détriment de tout le Québec. (…) Si l’importance de Montréal demeure indéniable pour l’économie du Québec, sa contribution est toutefois en baisse depuis 15 ans » souligne l’étude. « La comparaison de Montréal avec d’autres grandes villes n’est pas plus reluisante. Elle traîne de la patte quand on la compare à ses homologues du reste du pays. (…) Avec 48.9 % de la population du Québec et 53 % du PIB de la province, la région de Montréal joue un rôle central et incontournable dans l’économie québécoise.» Toutefois, «considérant que la performance économique de Montréal a été généralement inférieure à celle des autres grandes villes du Canada au cours des dernières années, la métropole n’a pas donné sa pleine contribution à l’économie du reste du Québec», tranche l’Institut du Québec. De 1987 à 20013, la croissance annuelle de l’économie montréalaise n’a été que de 1 % en moyenne.

Dans un tel contexte, « la prospérité des régions ne peut être essentiellement attribuable à celle de la région de Montréal » souligne Joëlle Noreau, économiste au mouvement Desjardins.

Pas une mais trois locomotives

Pour reprendre l’analogie empruntée par le rapport HMR, le Québec est un train tiré non pas par une locomotive mais par trois : Montréal, Québec et les régions. Ce train est composé de nombreux wagons, chacun transportant de précieuses richesses : population, sources énergétiques, matières premières, rivières, forêts et terres agricoles, lacs et côtes maritimes, villes et villages, infrastructures et équipements, institutions et services, écoles, cégeps, universités et centres de recherche, patrimoine bâti et immatériel, paysages, art de vivre, identité régionale et appartenance territoriale, initiatives et créativité, entraide et solidarité, tourisme et villégiature, etc.

C’est la puissance cumulée des trois locomotives qui fait avancer le train. Sans la présence de la troisième locomotive, les deux engins de tête ne pourraient conduire en gare du développement le précieux chargement.

Ayant constaté un ralentissement du train, les ingénieurs conviennent de négliger l’entretien de la troisième locomotive pour concentrer leur attention sur les deux premières espérant rehausser leur puissance de traction et maintenir la cadence. Ils ne semblent pas réaliser qu’ainsi abandonnée la troisième locomotive risque de se déglinguer rapidement et de freiner l’élan des deux autres! Qui pourra les ramener à la raison?

À suivre, Partie II le mercredi 27 mai sur Nous.blogue


1. Benjamin Higgins, Fernand Martin et André Raynauld, Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec. Variante du titre: Rapport HMR. Ottawa: Ministère de l’expansion économique régionale, 1970, 365 p.

2. MARCELIN, Joanis et FERNAND, Martin. La dimension territoriale des politiques de développement économique au Québec: enjeux contemporains, Cirano, Montréal, 2005. 52 p.

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