Dans la fiche synthèse de l’atelier tenu sur la Transition écologique lors des États généraux[1], on peut lire en introduction : Peu de territoires rencontrés dans le Tour d’horizon mènent de l’action intersectorielle intégrée dans une perspective claire de transition socioécologique (TSÉ)… l’ensemble des démarches territoriales ayant participé au Tour d’Horizon dit souhaiter mener des actions et des changements structurants en ce sens, ainsi que développer des liens avec les acteurs de la transition socioécologique. Mais on ne sait pas quoi faire ni comment y parvenir.
La fiche soulève de nombreuses questions et révèle des aspirations diffuses et l’absence même d’une ébauche de plan pour s’attaquer aux faiblesses identifiées, et ce, malgré l’urgence des défis à relever. Elle révèle surtout à mon avis l’absence de leadership, ce qui est inquiétant, de vision globale et une sous-estimation importante des impacts dans les prochaines années des crises multifactorielles pour les plus démunis de l’ensemble des sociétés d’ici et d’ailleurs. Visiblement, une des priorités devrait être l’élaboration au minimum d’un cadre stratégique de réflexion, d’analyse et d’intervention. Ce billet se veut une contribution en ce sens.
Une bonne partie du problème du « mouvement communautaire » est, comme pour la population en général et même de nombreux groupes se réclamant de l’écologie, qu’on comprend très mal la nature des enjeux ou qu’on ne croit pas réellement que notre univers et nos références sont en train de s’effondrer littéralement. On se satisfait d’agir sur les conséquences et non sur la source des problèmes. On ne considère toujours pas les crises environnementale et sociale comme étant intiment liées et les modifications profondes qu’elles imposent de plus en plus à notre quotidien. La pandémie n’est que le prélude de ces changements profonds à nos habitudes et croyances. En fait, qu’il s’agit déjà d’une question de survie pour une part importante de la population même dans nos pays privilégiés.
À croire que la rhétorique entourant le concept de « générations futures » dont on parle depuis des décennies et dans les publicités, ce n’est pas la nôtre, mais celle d’un futur lointain. Nous préférons le tout maintenant à un demain viable, même pour nous et nos enfants. À quoi ressemblera le monde dans 2, 5, 10, 15 ans? Quel âge aurez-vous? À quoi ressemblera votre vie (santé, alimentation, éducation, sécurité) et celle de vos enfants et petits-enfants?
On oublie déjà les impacts de la COVID sur nos vies. Indifférents, sourds volontairement ou pas aux appels de la nature, artisans de notre suicide collectif, procrastiner est le mot d’ordre depuis 50 ans au grand plaisir de nos décideurs politiques et économiques ce qui leur permet de maintenir inchangé la structure même de la société thermo-industrielle. Mais on ne sait toujours « pas quoi faire ni comment y parvenir ». Et pas de feuille de route (pourquoi, quoi, comment) pour l’élaboration d’un plan d’adaptation pour le communautaire.
Ce concept des « générations futures », entretenu par les appareils de propagande (idéologique) du système extractivisme-productiviste, est un bon moyen de différer les décisions radicales qui s’imposent tant au niveau collectif qu’individuel. Il permet d’entretenir l’illusion qu’une croissance infinie dans un monde fini est possible grâce à la technologie et la consigne des bouteilles… de vin. En d’autres mots que demain sera mieux qu’hier, moyennant un peu plus de ceci ou de cela, et que quelques ajustements mineurs nous permettront de maintenir notre mode et notre niveau de vie mortifères et énergivores. Dit autrement que l’on peut poursuivre la croissance sans détruire le monde, nos communautés et les vies humaines, la vie d’aujourd’hui sous toutes ses formes et celle qui aurait pu exister demain. CONTINUONS! N’était-ce pas le slogan de la CAQ aux dernières élections qui leur a donné 90 députés?
Pour perpétuer le rêve et se maintenir dans un déni confortable, on nous parlera de développement durable, de croissance verte, d’énergie verte, de consommation responsable, d’économie circulaire, de « pick up » écoénergétique, de tourisme écoresponsable, de carboneutralité pour… 2050, de technologie verte, d’économie verte, de « transition socioécologique ». Tout est en train de devenir d’un beau vert pomme… et pourtant 2022 battra tous les records d’émissions de GES[2] Or, nous ne sommes plus à l’époque ou la transition est possible, mais bien à celle où les ruptures sociétales et écologiques annoncées par les scientifiques deviennent réalité, qu’on le veuille ou non. Six des neuf limites planétaires (le climat, la biodiversité, les forêts, l’eau douce, l’acidification des océans, les cycles de l’azote et du phosphate, pollutions chimiques, les aérosols émis dans l’atmosphère, la couche d’ozone)[3] ont été dépassées ce qui annonce des jours moroses et beaucoup de souffrances et ni l’État ni la société civile ne s’y préparent sérieusement et lorsqu’ils le font, c’est sans remettre en question la source du problème : la société consumériste-productiviste.
Ce n’est pas notre esprit prétentieux qui va imposer sa loi. Comme le dit Yves Cochet : On ne négocie pas avec la nature et la géologie et elle nous l’a bien démontré au cours des derniers mois.
Sortir de l’impasse de l’illusion : Quelques pistes de travail
- Sortir du déni de réalité : Comme axe central de la démarche, aborder le présent et développer des stratégies qui tiennent compte d’un demain complètement différent de ce que nous connaissons (caractérisé par les conflits divers à échelle territoriale variable, les contraintes et restrictions multiples, etc.). Couper avec l’illusion du choix individuel, du « c’est mon droit »…
- Se former: Comprendre notre interdépendance avec le vivant et le non-vivant (limites planétaires). Développer sa capacité d’analyse et d’action sur le long terme. Développer des activités de formation et d’échanges intersecteurs ce qui peut réduire les écarts culturels, créer un langage commun et fournir des occasions permettant d’identifier des interfaces et des « passeurs » qui facilite la création d’alliances, de la continuité au-delà du coup à coup sectoriel propre au court terme. Développer un style de leadership intersectoriel convergent.
- Contrer le discours dominant : Identifier les caractéristiques du discours dominant et élaborer des récits alternatifs positifs (ex : que la décroissance ce n’est pas retourner à la chandelle, mais sortir de notre modèle de société consumériste et de l’éphémère pour répondre à nos besoins fondamentaux et se centrer sur la qualité de vie) s’inscrivant dans un projet de société alternatif et solidaire.
- Éliminer le mot transition de notre vocabulaire : Les trente glorieuses sont bel et bien derrière nous et le temps manque pour développer des mesures d’adaptation au niveau régional et local. Les ruptures vont se multiplier et nous avons besoin d’innovation radicale (sociale, politique, low tech) et non incrémentale. Le mot transition crée l’illusion que nous avons encore du temps et que les technologies sont La solution.
- Développer une approche systémique (globale) : Toute démarche d’innovation et d’adaptation pour avoir quelques chances de succès repose une juste compréhension des besoins à satisfaire dans un contexte donné et des interrelations avec d’autres facteurs internes ou externes. Sortir du cas par cas (silo) aide à établir des liens avec d’autres acteurs (approche transversale).
- Réduire notre dépendance : Cesser de penser que c’est le rôle de l’État de couvrir l’ensemble des besoins sociaux et qu’il en a la capacité alors que visiblement il a atteint les limites de sa capacité d’intervention (complexité, endettement, efficience financière et opérationnelle). Penser sobriété et autonomie dans la recherche de solutions alternatives. Les prioriser en fonction du vivre ensemble, car on ne peut toutes les réaliser.
- Couper avec l’angélisme : S’appuyer sur les acteurs locaux : Cesser d’espérer qu’il va y avoir des solutions universelles issues des classes dirigeantes (genre COP) qui vont empêcher le déclin de notre civilisation et l’effondrement des écosystèmes nécessaires à la vie. Mettre fin aux faux espoirs proposés par la « démocratie marchande » ou les milieux des affaires et politique sont en parfaite symbiose et leur seul objectif d’assurer la perpétuation du pillage des grandes entreprises, l’expansion de leur territoire, des « citoyens » dociles et une croissance obsessionnelle des profits à l’avantage d’une minorité, et ce, indépendamment des conséquences.
Il n’est pas dans mon intention ici de développer davantage ces thèmes. Pour celles et ceux que cela intéresse, je leur suggère de lire mes billets ou je les explore en les abordant sous différents angles[4].
[1] 9 – Transition sociologique (operationvss.ca)
[2] En 2022, les émissions de CO2 et de méthane atteignent des records (reporterre.net)
[3] Tout comprendre aux limites planétaires (reporterre.net)