L’arène municipale

En bout de course électorale, une constatation désolante s’impose de nouveau à qui s’attache à comprendre la dynamique et  les enjeux plus fondamentaux de la démocratie québécoise au lendemain du 7 novembre.

La gouvernance municipale – à laquelle est étroitement rattaché le développement local et régional – est comme jamais  marginalisée, écartée et négligée par l’action politique combinée des gouvernements provincial et fédéral sur le territoire municipal et urbain québécois. Le constat est sévère, mais pour la santé démocratique de nos institutions il doit être entendu; la campagne électorale a été pour les municipalités le reflet trouble de leur impuissance devant ce gouvernement québécois dont elles sont les créatures.

On l’a senti dès le coup d’envoi, les Québécois ont été plongés sans passion dans le tourbillon électoral municipal, avec l’esprit critique et le sens pragmatique d’irréductibles citoyens qui en avaient vu d’autres… Le taux de participation à l’élection exceptionnellement faible en témoigne crûment.

L’intérêt de l’électorat a davantage porté sur la personnalité et les qualités de leadership des candidats que sur leur programme et leurs engagements. D’ailleurs, par réalisme et nécessité, ces candidats ont généralement mis le focus sur les thèmes traditionnels locaux comme la saine gestion des finances, les services à la population, le développement économique, le logement, tout en recyclant à la saveur écologique du jour les thèmes plus communautaires de l’environnement, les changements climatiques, la mobilité durable et les transports, le logement social. Aucun ou peu de thèmes touchant directement le gouvernement québécois n’a été mis de l’avant, comme le partage de l’assiette fiscale, les programmes d’aide au développement économique, l’étalement urbain, la protection des terres agricoles, la culture.

La crise sanitaire a bien sûr imposé aux élus municipaux une saine et nécessaire retenue électorale envers Québec, car gérée utilement par un premier ministre en phase avec le peuple. Un politicien en contrôle du pouvoir centralisé lié à sa fonction, préparant déjà le rendez-vous électoral 2022 qui annonce des allures de plébiscite. On verra, comme le dit le PM lui-même.

Par contre cette crise a eu un énorme impact sur les municipalités, ce niveau de gouvernement le plus proche des citoyens. Notamment par le télétravail, elle a lourdement perturbé l’organisation et la livraison des services publics directs et dans plusieurs cas fragilisé les finances municipales et l’économie locale. Avec comme effet secondaire que la campagne électorale a souvent porté sur les conditions plus fantasmées qu’objectives d’un retour vers la « normalité ».

Réalisme donc, mais désillusion aussi…  alors qu’à l’aube de la campagne électorale municipale, les Québécois subissaient les encombrantes élections fédérales imposées par un Justin Trudeau fantasmant sur un gouvernement majoritaire. On sait maintenant qu’il tentera de se refaire une virginité politique en plantant ses gros sabots fédéralistes dans le système de santé québécois et des autres provinces. Une autre bataille fédérale-québécoise qui s’ajoute à la liste des inutilités.

 

Exit la gouvernance régionale

Allons-y d’un peu d’histoire récente pour mieux recadrer le pouvoir local et régional dans l’écosystème politique québécois. En 2016, avant la fin de son seul mandat, le gouvernement Philippe Couillard charcutait la gouvernance municipale et régionale avec l’abolition des CRÉ (Conférence régionale des élus) et des CLD (Centre local de développement).  Le délestage de cette cruciale plateforme régionale des élus locaux a été imposé arbitrairement, par la force du décret ministériel.

Alors en pleine opération de coupures budgétaires avec son impitoyable programme d’austérité, le chef libéral,  pourtant député de Roberval au Lac-St-Jean, confia le mandat d’éliminer les CRÉ et les CLD au ministre des Affaires municipales Pierre Moreau. Qui s’y consacra avec un zèle ressemblant à de l’acharnement politique. Pour bien marquer l’irréversibilité de sa manœuvre, le gouvernement libéral décréta à l’époque une coupure de 300 millions$ dans les transferts budgétaires aux municipalités.

Le gouvernement de l’austérité disait vouloir réduire les dédoublements avec les organismes gouvernementaux.  En réalité, l’opération visait le pouvoir municipal, les MRC et la société civile régionale. Des centaines d’organismes communautaires à travers le Québec qui œuvraient par exemple en décrochage scolaire, en immigration, en tourisme, en environnement voyaient leur entente spécifique et les sommes versées par la CRÉ annulées et leur programmes abolis.

Dans cette partie de bras de fer, le ministre Pierre Moreau envoya plusieurs lettres de menaces de représailles aux CRÉ et aux municipalités, les avisant que tout retard dans la mise en place du plan de fermeture entrainerait un délai dans la transmission des budgets disponibles, notamment ceux des CLD qui seraient intégrés dans les municipalités et les MRC.

Pour dorer la pilule sans modifier l’essentiel de son objectif, le gouvernement Couillard convoqua en 2017 le monde municipal à un stratosphérique sommet où il annonça que les municipalités seraient considérées désormais comme des gouvernements de proximité. Avec  la création de la Table Québec-municipalités devant siéger annuellement ou au besoin, on érigeait une fantomatique plateforme sans réel pouvoir, sinon la proximité physique éphémère des élus municipaux avec ceux du gouvernement au pouvoir.

Le peuple livra  son verdict à l’élection du 1er octobre 2018 en élisant 74 députés de la CAQ dont 73 en dehors de Montréal. Le gouvernement Couillard fut relégué à l’opposition officielle avec 32 députés concentrés dans la région métropolitaine. Mais la problématique de la gouvernance demeurait entière.

 

Le corset budgétaire

L’impôt foncier s’affiche depuis toujours comme la principale cause structurelle du cul-de-sac financier de tout gouvernement municipal.

Ce corset budgétaire imposé représente jusqu’à 75 % des revenus des municipalités, si on inclut la scandaleuse « taxe de bienvenue » sur les droits de mutation.

Cette contrainte budgétaire fait que pour accroître leurs revenus, maintenir et fournir  les services à la population, et en développer d’autres, les municipalités doivent se concentrer sur   le développement immobilier,  domiciliaire,  commercial et industriel,  source d’étalement urbain et de pression à la hausse sur les services publics et le compte de taxes.

Depuis toujours, malgré les promesses électorales, le gouvernement québécois refuse d’ouvrir pour la peine d’autres champs de taxation aux municipalités, multiplie les faux-fuyants et les mesures ponctuelles et marginales pour maintenir sous sa gouverne ses créatures municipales.

 

Le trafic des subventions

Diversifiés, nombreux et  souvent complexes,  les programmes de subventions gouvernementales sont une source très courue de financement de projet pour les municipalités. De la sorte le gouvernement québécois maintient son pouvoir d’influence et de contrôle sur les projets d’investissement municipaux que les élus locaux lui présentent pour obtenir une ou plusieurs subventions, souvent en partenariat avec des promoteurs privés en quête de bonnes affaires et de soutien public.

Une situation qui d’autre part fait grandement l’affaire du gouvernement fédéral qui a les poches profondes et utilise abondamment son pouvoir de dépenser et d’influence sur le territoire québécois, normes nationales ou non.

Au final, la réalisation des coûteux projets d’infrastructures (routes, ponts, transports urbains, édifices publics, logement social) dépend des millions$ accordés dans les programmes de subventions. Sur le terreau municipal on imagine facilement que les démarches politiques pour le financement baignent tout au long du trajet dans un climat trouble plus ou moins secret de partisannerie, de débats parallèles, de négociations discrètes, de jeux de coulisses et de lobbying politique. D’ailleurs, sans que ce soit une règle écrite, on évalue l’efficacité et le poids politique d’un ou d’une ministre responsable d’une région, ou d’un maire ou une mairesse,  à sa capacité de « livrer » au moment opportun. Une sorte de trafic d’influence orchestré souvent depuis le Conseil exécutif, le ministère du premier ministre, avec la participation des ministres concernés.

À l’échelle du Québec, se sont des centaines de projets municipaux, souvent régionaux, dont la réalisation dépend des derniers publics, soit plusieurs centaines de millions$ par année.

Pour les deux principales villes que sont Montréal et Québec, on pense entre autres aux dossiers récents du pont Samuel de Champlain, de l’aéroport de Montréal, du prolongement de la ligne bleue du métro, du réseau autoroutier de la région métropolitaine; et à ceux du 3e lien et du tramway dans la capitale nationale.

Sans oublier le cas montréalais  très particulier du REM dont la réalisation a été entièrement confiée (par le gouvernement Couillard)  à la CDPQ (Caisse de dépôt et de placement du Québec) en écartant par décret tout pouvoir d’intervention des instances de la communauté urbaine de Montréal, y compris les conseils municipaux. Une véritable usurpation du pouvoir des instances démocratiques de la communauté métropolitaine.

 

Décentralisation- régionalisation

Somme toute le gouvernement devrait être interpellé avec plus de vigueur et d’insistance quand il est question des pouvoirs et du financement des municipalités et des MRC.

La question cruciale de la décentralisation des services et de la gouvernance régionale est au cœur de l’avenir des régions (de toutes les régions) et des municipalités. Cet enjeu capital a été évacué du débat de la campagne électorale municipale. Il doit être à l’ordre du jour de la campagne québécoise de 2022.

Lors de l’élection québécoise de 2018, le premier ministre François Legault avait laissé poindre sans plus de détails le transfert ambitieux de 5 000 employés de la fonction publique vers les régions. Un engagement imprécisé et peu réaliste qu’il a laissé flotté dans l’atmosphère politique. Plus récemment, il a associé d’éventuels transferts vers les régions à la décentralisation du système de santé rendue nécessaire par la crise sanitaire.

Évidemment, on comprend que la gestion exigeante de la pandémie l’a contraint à consacrer ses meilleurs efforts à la crise sanitaire et la remise sur pied du système de santé.  Mais il semble que l’agenda sur cette question se libère, comme celui de la question nationale et de la langue.

On doit lui rappeler que la Coalition Avenir Québec doit son élection sans équivoque aux régions. Qui elles aussi ont la légitime ambition d’incarner l’avenir.

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4 réponses

  1. Excellente analyse de l’hypercentralisation politique à un moment où les défis se présentent à l’échelle locale mis en tutelle et mondiale où les gouvernements parlent sans agir. La transition socioécologique nous place devant le défi de casser cette situation, mais l’absence de conscience politique québécoise grève sérieusement la capacité de mobiliser. Est-ce que les élections de 2022 au Québec permettront de dégeler cette conjoncture? Pas certain comme vous le montrez bien. Est-ce que l’année qui s’annonce obligera à bouger? La crise irrésolue dans le réseau de la santé et des services sociaux et les initiatives farfelues dans celui de l’éducation vont peut-être provoquer un choc… Souhaitons-le!
    Merci. Solidairement

  2. Merci beaucoup de ces bons mots. Ils encouragent à pousser plus loin l’indispensable réflexion qui doit nourrir les fondements d’une action profonde et durable.
    .

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