Le gouvernement Legault s’est engagé envers et contre tout à réaliser le projet d’un 3e lien routier à l’est de Québec pour décongestionner le trafic entre les deux rives. Le premier budget du gouvernement Legault accorde 325 millions$ pour des études de faisabilité de ce projet qui soulève plusieurs interrogations.
L’urgence de la transition écologique
Le temps est venu pour des actions politiques déterminantes en matière d’environnement. Celles-ci ne pourront s’accomplir sans contraintes ni renoncements à des façons de faire d’un mode de vie prédateur et polluant bien enraciné. C’est de l’avenir de l’humanité (plus que de la planète qui saura poursuivre son voyage sidéral sans nous) dont il est question, et les virages décisifs à prendre n’ont déjà que trop tardé. Le secteur des transports, que de nombreuses études désignent comme le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, doit principalement cette place peu glorieuse au trafic routier et notamment à l’usage de la voiture. La diminution de l’usage de l’auto-solo, notamment entre lieu de résidence et lieu de travail ou d’étude, doit retenir une attention particulière dans la lutte contre les changements climatiques. Est-ce que le projet du 3e lien routier à l’est de Québec est de nature à réduire le trafic automobile sur les rives nord et sud?
Quelques considérations qui questionnent le choix du 3e lien à l’est de Québec:
- La dernière enquête origine-destination des automobilistes (navetteurs) à Québec, dont les résultats ont été publiés le 16 mai dernier, révèle des réalités qui devraient amener le gouvernement Legault à reconsidérer son engagement à l’égard de la réalisation du 3e lien autoroutier à l’est de Québec:
- le secteur de Sainte-Foy/Sillery/Cap-Rouge demeure le plus important pôle origine-destination de la région de Québec-Lévis;
- l’automobile a la préférence des navetteurs alors qu’elle a connu une croissance de 12,9% sur une base quotidienne entre 2011-2017. L’usage du transport en commun a connu une baisse de 1,8% pour la même période. Ce qui démontre l’attrait que continue d’exercer l’automobile auprès des navetteurs quotidiens;
- la forte majorité des gens qui utilisent les ponts vivent dans l’ouest de Lévis et travaillent ou étudient dans l’ouest de Québec.
- À défaut de trouver, dans l’enquête origine-destination 2017, les données qui viendraient donner de la pertinence au projet du 3e lien routier à l’est, le ministre François Bonnardel crée un Grand Est en adjoignant, sur la rive sud, non seulement l’arrondissement Desjardins et celui des Chutes-de-la-Chaudière, mais aussi les secteurs de Charny, Saint-Romuald, Saint-Jean-Chrysostome et Sainte-Hélène-de-Breakeyville. Sur la rive nord, M. Bonnardel n’hésite pas à inclure dans ce Grand Est les arrondissements de Beauport, Charlesbourg, Les Rivières, La Cité et Limoilou. Pour être conséquent avec sa vision du territoire de mobilité de Québec, le ministre Bonnardel devrait tout autant inclure dans le bassin ouest, les arrondissements et villes d’Ancienne-Lorette, Saint-Augustin, Neuville, etc.! On comprend qu’il ne le fasse pas, sa stratégie « orientale » s’en trouverait d’autant affaiblie.
- Une voie rapide qui reliera l’autoroute 20 à l’entrée est de la ville de Québec encouragera l’utilisation de la voiture et aura vite fait d’aggraver la congestion du réseau routier au cœur de Québec et sur la rive sud ;
- Ce 3e lien à l’est stimulera l’étalement urbain tentaculaire sur la rive sud, ce qui aura pour résultat de gonfler le volume de la circulation routière.
- L’urbanisation que ne manquera pas de stimuler le 3e lien dans plusieurs municipalités rurales de la MRC de Bellechasse, soustraira à l’agriculture des centaines d’hectares de terre parmi les meilleures de la région.
- Ce 3e lien ne fera que pelleter en avant un problème causé par un mode de transport des personnes en total contradiction avec l’impératif de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, principale cause des dérèglements climatiques.
- Ce projet de 3e lien souscrit aux effets pervers du modèle de croissance urbaine illimitée, dominé par la voracité des développeurs et la quête des élus municipaux pour des revenus accrus de la taxe foncière. La poursuite de ce modèle fera en sorte qu’un 4e lien s’avérera nécessaire dans 10 ou 15 ans!
La problématique de la congestion routière entre Québec et Lévis est un condensé des conséquences d’un développement territorial défini et façonné par les règles de l’économie de marché que les préoccupations sociales et environnementales ont bien du mal à raisonner. Devant l’imminence des catastrophes écologiques annoncées, cette logique de croissance est devenue insoutenable. Osons appliquer les principes et les règles d’un aménagement durable du territoire. Il est irresponsable de la part du gouvernement Legault de donner suite à une promesse électorale en contravention des responsabilités et obligations environnementales.
L’alternative au 3e lien
Au projet de construction de ce 3e lien autoroutier à l’est de Québec, on privilégiera une alternative qui conjugue les éléments suivants, le transport collectif et la déconcentration de l’agglomération de Québec étant au cœur de cette alternative : intégration et interconnexion « intelligente » entre les deux sociétés de transport de Québec et de Lévis; arrimage efficace du réseau de transport de Lévis avec le réseau structurant de Québec (tramway-bus) dont on prévoira plusieurs ramifications; stationnements pour les voitures aux têtes des deux ponts existants; voies réservées aux bus, aux covoiturage et à l’autopartage; réseaux agrandis de pistes cyclables.
Dans le but de réduire la pression routière en début et en fin de journée, les horaires de cours aux cégeps et à l’université seront ajustés. Le télétravail et la modulation du temps de travail dans les ministères et les entreprises seront encouragés et des espaces de coworking seront planifiés et accessibles à toute heure du jour. De façon générale, on aura le souci d’une gestion améliorée des déplacements aux heures les plus achalandées.
Enfin, du point de vue de l’aménagement du territoire, on développera une nouvelle pensée de l’organisation de l’espace axée sur la déconcentration économique et démographique de l’agglomération de Québec, au bénéfice de bassins de vie et d’emplois dans les régions voisines. Cela dans la perspective d’un meilleur équilibre entre l’agglomération de Québec et les régions qui sont en quête de leviers de développement. Cette politique de déconcentration ne se ferait pas dans la contrainte, mais s’appuierait sur le désir ressenti chez un nombre croissant d’entreprises, de travailleurs et de familles pour une implantation en dehors des grands centres.
En Chaudières-Appalaches et Bellechasse, on désignera un certain nombre de sites d’activité économique (industries, commerces, services) pour constituer des bassins d’emplois disponibles à des entreprises de la région. Des aides techniques et financières seront accordées aux entreprises qui feront le choix de s’installer sur ces sites ou dans une petite ville ou village de la région. Le but de ces mesures territoriales ciblées et de programmes d’aide étant de créer des emplois disponibles localement, réduisant ainsi les déplacements sur de longues distances entre lieux de résidence et lieux de travail, et l’encombrement sur les grands axes routiers qui s’en suit. Il est devenu impératif que l’aménagement du territoire se donne pour objectif de rapprocher les lieux de travail des lieux de résidence que viendra soutenir un modèle de développement polycentrique à travers les régions du Québec.
Et les infrastructures ferroviaires sur le pont de Québec? Pourquoi ne pas envisager y faire rouler des trains de banlieue qui relieraient la gare du Palais à celle de Charny incluant des stations de correspondance avec le tramway et un embranchement vers Estimauville et le terminus des Chutes Montmorency? Certes, il faudra clarifier les droits de propriété et d’usage et les responsabilités entre le fédéral, le Canadien national et la Ville de Québec, et réguler la cohabitation des trains de marchandises et des trains de passagers, mais n’y voyons pas des obstacles insurmontables. La bonne foi est ici requise à la recherche d’une option efficace de transport collectif.
Faire preuve de vision, d’audace et de courage politique
Afin de connaître les solutions d’avant-garde en matière de mobilité urbaine, d’en maîtriser la compréhension et d’en assurer la diffusion et le partage, des forums, voire des états généraux sur le sujet, seraient tenus.
Et si on affectait les 4 milliards $ et plus nécessaires à la construction du 3e lien, à l’élaboration et la mise en œuvre de solutions combinant les éléments ci-haut esquissés ? Non seulement les problèmes de congestion routière entre les deux rives seraient largement résolus, et de façon « durable », mais des jalons importants seraient posés pour la définition de stratégies nouvelles de développement régional et de redéploiement économique et démographique des grandes villes, au bénéfice des territoires intermédiaires et périphériques du Québec pour un meilleur équilibre entre les régions centrales et le reste du territoire.
Les évolutions numérique, technologique, économique, écologique et sociale en cours sont des chances à saisir pour revoir les modèles de développement et d’aménagement du territoire, pour transformer les pratiques d’implantation des entreprises, repenser les organisations de travail et la mobilité physique des travailleurs.
Des bouleversements majeurs sont en gestation en matière d’organisation du travail, de conciliation travail-famille, de relation territoriale entre lieux de résidence et lieu de travail, d’aménagement du territoire et de la répartition des activités économiques…, le tout dans une perspective de qualité de vie et de souci environnemental. Sachons faire preuve de vision, d’innovation, d’audace et de courage politique.
Conclusion
Le projet actuel d’un 3e lien routier à l’est de Québec est un cheval de Troie pour plus d’étalement urbain, plus de transports par auto, plus de congestion routière et plus de gaz à effet de serre. Une infrastructure d’une autre époque. Soyons plus imaginatifs et courageux en transport collectif, densification et déconcentration territoriale.
Le gouvernement Legault sortirait grandi de l’abandon de ce projet de 3e lien à l’est de Québec. Son engagement politique pris dans la fièvre électorale ne peut se justifier à l’épreuve des faits : fardeau écologique pour l’agglomération de Québec, option économiquement coûteuse et incohérente au regard des résultats de l’enquête origine-destination 2017, une option d’infrastructure de transport routier qui va à l’encontre d’un modèle d’aménagement du territoire polycentrique, soucieux de tendre à un meilleur équilibre de l’occupation et de la vitalité des territoires.
Une réponse
En complément : https://www.simoncoulombe.com/2019/05/eod2017/