Il est assez intéressant de lire et d’entendre des propositions pour que les efforts de relance après la crise actuelle soient investis dans le rétablissement du système de santé et de services sociaux, pour l’amélioration des conditions de travail des personnes occupant des emplois peu valorisés jusqu’à maintenant, mais dont la contribution est déterminante pour prendre soin des personnes en besoin, dans la fin du soutien aux énergies fossiles et l’investissement vert, pour l’autonomie alimentaire et l’approvisionnement local en pharmacie et matériel médical, etc. Bref, les espoirs foisonnent… Car il faut bien voir que ce sont des espoirs et que leur formulation ne reflète pas nécessairement l’opinion populaire.
Ce qui est clair, c’est que les rapports de force sociaux et politiques n’ont pas disparu avec la crise. L’élan de solidarité collective les a simplement relégués au second plan. Les questions qui émergent sur l’avenir des processus démocratiques et des institutions – santé et services sociaux, éducation, sécurité du revenu – après la crise le montrent bien. Faut-il pour autant se résigner à un retour à l’avant pandémie?
Est-ce que le temps long des impacts des changements climatiques va permettre que persiste le sentiment que « nous n’y pouvons pas grand-chose de toute façon » et que la transformation est tellement massive qu’elle n’arrivera pas? Ce qui est certain, c’est que le modèle dominant de l’économie de marché avec ses impératifs de croissance est un gros bateau à faire virer!
En même temps, la transition socioécologique est une urgence, il n’y a pas d’alternative et il n’y aura pas de moment idéal pour l’entreprendre. Il faudra toujours composer avec des intérêts divergents. Le défi c’est de faire en sorte que la majorité partage la conviction que l’intérêt collectif va dans le sens du changement : de l’individualisme à la solidarité, de la consommation au partage, de la croissance économique à la réponse aux besoins essentiels de toutes et tous. C’est un défi d’autant plus considérable qu’il exige, pour nous du Québec, une réduction significative de notre niveau de vie – mais pas de notre qualité de vie – afin de respecter la capacité des écosystèmes et surtout pour établir une équité qui fait gravement défaut entre les classes sociales et entre les pays.
Et après?
Dans un petit ouvrage décapant, Boaventura de Sousa Santos[1] affirme que la sortie de crise passera par « la prise en compte des besoins et des aspirations des citoyens ordinaires pour développer les connaissances » (41). Les personnes qui vivent le plus durement les effets du confinement sont aussi celles qui souffrent le plus du type de société dans lequel nous vivions avant la crise : les femmes qui prennent soin des gens, les travailleuses et travailleurs précaires qui dépendent d’un revenu essentiel à la survie quotidienne, les vendeurs de rue dans les pays où domine l’économie informelle, les personnes dépendantes à cause d’un handicap ou de leur âge, les personnes sans abri, celles qui habitent dans des quartiers pauvres, les personnes migrantes qui se retrouvent dans des camps surpeuplés, etc. Pour toutes ces personnes, le confinement qu’exige la pandémie représente une impossibilité pratique en même temps qu’il constitue une condition habituelle d’existence : d’une part, « l’urgence sanitaire s’ajoute à bien d’autres urgences » (53) et, d’autre part, « elles ne sont pas en mesure de suivre les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé pour se défendre contre le virus » (66).
Pour la majorité de l’humanité, les mesures prises pour combattre la pandémie s’attaquent aux conséquences plutôt qu’aux causes de leurs problèmes. La gestion de cette situation dont les signes sont très visibles entraîne des mesures rapides, tandis que les situations qui ont généré la crise, la crise climatique par exemple, sont loin de recevoir la même attention même si la pandémie est l’un des effets. En fait, le capitalisme néolibéral pour lequel la domination du marché constitue une priorité absolue a considérablement affaibli l’État social et la vie communautaire depuis les années 1980 : « la période qui va suivre immédiatement la quarantaine ne sera pas favorable pour débattre des solutions de rechange, à moins que la normalité à laquelle les gens voudront revenir ne soit pas possible » (80). Pour que cela arrive, il faudra que l’on comprenne collectivement que le modèle économique actuel « nous enferme dans une quarantaine politique, culturel et idéologique » (84) à laquelle il faut mettre fin. La sortie de crise se jouera nettement sur le terrain politique pour renforcer l’État social, mais aussi pour que le communautaire soit reconnu comme composante essentielle de l’économie.
NDÉ: Lire aussi du même auteur: La COVID-19 pourrait-elle nous aider à prendre le virage?
[1] Santos, Boaventura de Sousa (2020). La cruel pedagogía del virus, Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales (CLASCO), 88p. http://209.177.156.169/libreria_cm/archivos/La-cruel-pedagogia-del-virus.pdf