Octobre, cette année, marquait le 50e anniversaire de la Crise d’octobre (1970) et le 25e du référendum de 1995. Mémoire de défaites du projet d’un Québec qui s’assume comme nation.
D’abord la mise au pas par l’État canadien, en 1970, avec l’occupation armée, la Loi des mesures de guerre et les arrestations massives. Puis en 1995, par le love in illégal et l’échec référendaire.
Entre les deux, la génération de progressistes qui ont préparé puis mis en place un État social moderne au tournant des années 1960, ont entretenu un projet de pays et développé ce qu’on a désigné comme le modèle québécois : l’action concertée autour d’innovations émergeant des communautés locales et négociées avec l’État pour mettre en œuvre des politiques sociales redistributives. Des CLSC dont l’approche multidisciplinaire s’adaptait aux réalités des communautés, aux centres de la petite enfance qui offrent des services éducatifs selon des standards élevés et facilitent la participation des femmes au marché du travail, en passant par la variété d’organismes communautaires qui sont autant de lieux de participation citoyenne et la politique nationale de la ruralité qui équipait le collectivités rurales de ressources qu’elles pouvaient dédier aux projets de leur choix.
Si la Crise d’octobre de 1970 a freiné le mouvement sans le casser malgré sa violence, l’échec de 1995 a ouvert une période de reculs significatifs.
L’entrée, au tournant du 21e siècle, dans une ère de néolibéralisme dans ses composantes économiques et de nouvelle gestion publique a mis en évidence la rupture avec un projet de pays progressiste. Les gouvernements Charest (avec le Dr Couillard à la santé et aux services sociaux) puis Couillard (avec le Dr Barrette à la santé et aux services sociaux) se sont attaqué aux principaux gains de l’État social au Québec : démantèlement des CLSC et centralisation du réseau permettant au Ministre de faire de la gestion au quotidien (avec les conséquences dramatiques que la pandémie a mises en évidence); abolition de la politique nationale de la ruralité et des structures de prise en charge du développement local (inféodation des CLD aux volontés des élus locaux) et régional (abolition des Conférences régionales des élus); adoption de règles favorisant la privatisation en santé et en éducation aux dépens des réseaux publics; etc. Bref, au sortir des deux dernières décennies, la solidarité a reculé dans un Québec dont le projet se réduit à une somme de projets individuels qu’ils soient de gauche (le morcellement des causes) ou de droite (l’accaparement de la richesse).
Se rappeler de nos octobres ne sert à rien si cela ne fait qu’éveiller des nostalgies. Nous ne reviendrons pas au projet social de la révolution dite tranquille, ni au projet de souveraineté qui s’est écrasé sur le refus des accords du Lac Meech (il y a 30 ans) et l’absence de suite donnée au référendum de 1995 alors que pratiquement la moitié des Québécoises et Québécois avaient dit oui. La mémoire doit nous projeter vers un nouveau projet pour un Québec solidaire. Où sont les porteurs qui, à la manière des militantes et militants des années 1930, 1940, 1950 ont développé ce qui est devenu le modèle québécois?
Des indicateurs à surveiller
On dit que la forêt qui pousse ne fait pas autant de bruit que l’arbre qui tombe. Comment repérer les innovations qui préparent la forêt du futur? Sur quels fronts faut-il les chercher? Je ne prétends pas être en mesure de voir venir le Québec de demain, mais il me semble qu’il faut identifier des indicateurs à surveiller pour cultiver et appuyer les nouvelles pousses. J’en propose trois : l’ancrage territorial, la participation démocratique et la convergence.
L’ancrage territorial. Les événements des derniers mois ont mis en évidence que le choix de centralisation en santé et services sociaux a eu des conséquences terribles dans les CHSLD et les hôpitaux, mais aussi que les difficultés d’accès aux services en santé mentale entraînent de grandes souffrances et des désordres sociaux qui renvoient aux corps policiers des tâches qui devraient être assumées par d’autres ressources. Les CLSC réunissaient une variété de professionnels intervenant à proximité des populations et alliant leurs expertises, ce qui favorisait une réponse plus efficace à des besoins complexes. Le territoire communautaire offre des possibilités de développer des réseaux efficaces reliant les services publics, les organismes communautaires et les résidants du territoire : c’est cela l’ancrage territorial. Si la pratique médicale était intégrée à de tels établissements – des CLSC nouvelle formule – l’accès aux médecins de famille pourrait devenir autre chose qu’une promesse inachevée.
La participation démocratique est aussi un passage obligé vers une solidarité sociale qui ait une portée politique. Les organismes communautaires et les associations diverses contribuent à donner la parole aux citoyennes et citoyens sur les enjeux qui les concernent. Il faut créer des espaces publics – états généraux, forums, sommets, peu importe comment on les désigne – où ces divers points de vue puissent entrer en débat et faire émerger des projets collectifs. Le contexte de la pandémie n’est guère favorable, mais il y aura un après qui déjà se dessine.
Ce qui nous conduit au troisième indicateur, la convergence. Il y a actuellement une foule de revendications pour faire reculer les discriminations, éliminer les exclusions et réduire les inégalités. Le grand défi est de faire en sorte que ces préoccupations permettent de dessiner un projet collectif partagé assez largement pour avoir une portée politique. Les grands modèles progressistes n’ont pas survécu à l’échec des idéologies édifiées sur une croissance permanente. Même si la bourse continue à rouler sur cette illusion, nous avons besoin d’un projet de société qui favorise plutôt la transition vers un bien vivre. La convergence requise entre les divers projets et les luttes qui en font la promotion, demeure un défi.
Souhaitons-nous que la mémoire nous permette de dessiner un projet partagé.
3 réponses
Une reflexion articulée qui fait du sens et souffle dans nos voiles pour faire un autre bout. Merci René. Ton texte inspire.
Pour moi, ce billet est d’une grand clairvoyance et propose des pistes non seulement éclairantes mais rassembleuses et claires pour ce qui s’en vient. Merci René!
Merci René pour ce voyage dans nos imaginaires collectifs! Je trouve ça bien éclairant, comme toujours!