La vitalité démocratique de la société est une condition nécessaire pour que la gestion des biens communs corresponde aux impératifs de la transition socioécologique. L’accès à des logements convenables, la protection des réserves d’eau, la sauvegarde des terres agricoles et des milieux humides, l’aménagement du territoire, mais aussi l’éducation et la santé sont autant de réalités collectives que le marché se montre incapable de gérer efficacement. Les intérêts privés ne servent pas bien les biens communs. Il est urgent que les citoyennes et citoyens aient la possibilité de faire les choix collectifs qui s’imposent pour amorcer le long virage requis si nous voulons préserver et améliorer les milieux de vie. Pour cela, il faut développer des moyens de délibération citoyenne, permettre aux gens d’exprimer leurs choix sur les enjeux qui les concernent, et de demander des comptes à celles et ceux qui détiennent le pouvoir. Même si les élections font aussi partie du processus, la démocratie ne peut plus se limiter à la possibilité d’exprimer son vote périodiquement. La voix citoyenne a besoin d’espaces de délibération collective.
Reculs et disparitions
Depuis le tournant des années 2000, les gouvernements au Québec ont imposé une série de reculs démocratiques qui devraient nous alerter. Regroupement de la moitié des CLSC avec un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) à la fin des années 1990, puis intégration dans les centres de santé et de services sociaux (CSSS) en 2003 et disparition complète en 2015 dans les centres intégrés et centres intégrés universitaires de santé et services sociaux (CISSS/CIUSSS), avec en prime le remembrement des accréditations syndicales rendant très complexe la solidarité entre des travailleuses et travailleurs répartis dans des centaines d’établissements sur un grand territoire. Abolition en 2003 des conseils régionaux au profit des conférences régionales d’élus aussi abolies en 2015; soumission des centres locaux de développement (CLD) au contrôle des MRC en 2003, puis leur intégration totale en 2015; abolition de la politique nationale de la ruralité en 2015. On doit maintenant allonger la liste avec l’abolition des commissions scolaires en 2020. Chaque fois, ce sont des espaces citoyens qui ont disparu : à elle seule, la transformation des conseils d’administration dans le réseau de la santé et des services sociaux a fait disparaître 6 000 postes occupés par des personnes représentant les communautés desservies. La tendance à remplacer les citoyennes et citoyens par des experts a fait disparaître la démocratie dans les services publics. Les organismes communautaires demeurent bien sûr un terrain privilégié de démocratie directe, mais là aussi l’imposition de la reddition de comptes et la professionnalisation des interventions favorise la tendance de l’État à les modeler sur les façons de faire de l’économie de marché. Est-il nécessaire d’ajouter que la pandémie nous a fait traverser une période durant laquelle les gouvernements prennent des décisions alors que les lieux de débats parlementaires fonctionnent en mode minimal?
La pandémie a pourtant mis en lumière les impacts des déficits démocratiques dans nos services publics. La faiblesse de la première ligne dans le réseau de la santé et des services sociaux a amplifié les problèmes dans les CHSLD, à la protection de la jeunesse, en santé mentale, etc. Cette prise de conscience permettra-t-elle de rétablir ce que promettaient le modèle des CLSC ancrés dans les communautés et la reconnaissance de l’autonomie de l’action communautaire comme soutien des liens sociaux dans les milieux de vie? On ne peut pas rêver de revenir aux structures qui ont été démantelées, mais il me semble urgent de comprendre ce que les choix de société qui les caractérisaient avaient de porteur pour un meilleur vivre ensemble et de s’en inspirer pour créer des modèles qui récupèrent le meilleur de ces expériences québécoises. On dit qu’en pleine crise provoquée par le coronavirus, ce n’est pas le temps de brasser les structures, mais dans quelques mois (espérons-le!), il faudra rétablir les choses. Il est temps de discuter de la façon dont nous allons organiser l’après.
Et maintenant?
La transition socioécologique exige un effort collectif pour infléchir les habitudes de consommation et adopter des politiques audacieuses de transformation du modèle de production dont nous dépendons, destructeur de l’environnement et générateur d’inégalités. Cela implique une réduction plutôt que la sacrosainte croissance de l’économie et, en conséquence, une autre façon de concevoir notre niveau de vie. Il faudra que nous consentions individuellement et collectivement à concevoir autrement notre confort. La mobilisation constitue une clé pour mettre en place ce nouveau projet de société. Comment susciter des engagements au changement sans espaces de délibération pour identifier les enjeux et faire des choix collectifs? Ce ne sont pas les connaissances qui font défaut pour identifier les bonnes décisions, mais un rapport de force qui permet d’appliquer une pression politique suffisante pour les faire valoir.
Rebâtir le rapport de force, ça démarre à la base et ça exige un leadership qui rassemble. Nos critères pour évaluer nos espaces de délibération devraient s’inspirer de quelques principes d’organisation qui ont fait leur preuve : l’enracinement dans la communauté; la participation citoyenne à la définition des projets, à leur mise en œuvre et à leur évaluation; une visée de solidarité sociale et de transformation des conditions de vie et des rapports sociaux; la création de lien social que ce soit en défense des droits, dans le développement de services alternatifs ou dans l’innovation sociale. Il faut sortir du cul-de-sac démocratique dans lequel nous sommes engagés.
2 réponses
Bonjour René, toujours une aussi bonne analyse et une capacité à rédiger et résumer des concepts pour les rendre simples et clairs en nommant bien les enjeux. Toujours un plaisir de te lire, c’est mobilisant et j’ai l’impression d’être plus intelligents après t’avoir lu…sans rire tu es une référence pour moi et surement bien d’autres.
Dans Le Devoir de cette fin de semaine (15 mai) Gérard Bouchard nous propose une intéressante réflexion sur la perte d’élan collectif au Québec. Il souligne notamment un enjeu qui rejoint mon propos: « Le citoyen s’est retrouvé éloigné des grands centres de décision, d’où il a résulté un sentiment d’aliénation: comment agir sur un monde dont les principaux leviers nous échappent et dont la tête est partout et nulle part? La grande idée d’un ‘projet de société’ pour le Québec est maintenant mise en veilleuse, tout comme celle du ‘modèle québécois’. » Voilà qui justifie l’impératif d’une réaffirmation de l’urgence démocratique!