Je suis inquiet de la société des « je » dans laquelle nous vivons maintenant. Ce sont des gains majeurs de la modernité que la reconnaissance de la liberté individuelle et le développement des biens qui nous permettent de sortir des contraintes de la survivance. Mais, il me semble que ces avancées de l’humanité s’accompagnent d’un recul majeur de la solidarité.
Je suis inquiet des problèmes que nous avons à dire nous. Serions-nous réduits à une vie collective reposant essentiellement sur le confort ? La montée de l’angoisse, y compris environnementale, est un revers de la perte de sens qu’entraîne cet affaissement de la solidarité. Même la quête de sens est devenue une entreprise avec ses manuels proposant des comment-vivre-heureux !
Il ne manque pas de citoyennes et citoyens généreux qui alimentent de nouvelles solidarités : la multiplication des associations en fait foi. Il n’y a sans doute jamais eu autant de gens qui assument des responsabilités dans des organismes. Mais cela ne génère pas de discours politique rassembleur: la solidarité reste à l’échelle de chaque enjeu et les revendications s’organisent trop souvent autour de droits individuels. Toutes les discriminations, les exclusions et les marginalisations appellent une action pour corriger la situation, mais tout se passe comme si chaque question évoluait selon une logique sectorielle sans convergence vers un point de ralliement collectif.
Je suis peut-être nostalgique quand j’en viens à regretter le temps où, au Québec, la chanson, l’action collective et la politique étaient traversées par un projet de pays. Ce sens commun n’a pas eu assez de souffle pour résister aux coups de butoir politiques qu’ont été les défaites référendaires, le rapatriement sans le Québec de la constitution Canadian et le triomphe des politiques néolibérales depuis le tournant des années 2000.
Je demeure pourtant convaincu que construire le nous demeure une tâche urgente. Les groupes d’action communautaire, les intervenants et intervenantes collectifs, les syndicats et autres organisations sociales sont de formidables incubateurs de conscience sociale. Ce sont aussi des espaces de développement de solidarités. Quelles avenues nous permettront de faire un pas de plus et d’inscrire ces solidarités dans une politique axée sur la solidarité et la démocratie, autrement dit un socialisme démocratique qui permette de réduire efficacement les inégalités sociales et les injustices écologiques ?
Pour le moment, nous en sommes à travailler sur des utopies réalistes, des projets qui inspirent le goût de s’engager avec l’espoir de créer du changement social. J’aimerais bien que ces moments où nous avons le sentiment qu’il y a un sens partagé deviennent des temps forts de société. Je crois fermement que nous sommes dans un temps de préparation de ce temps fort. Les militantes et militants des années 1950 ne savaient pas ce que serait la Révolution tranquille, mais c’est leurs actions qui l’ont préparée.
Une réponse
Merci beaucoup René! Tes réflexions croisent les miennes avec un angle très différent. J’espère que nous aurons l’opportunité d’en discuter ensemble et avec d’autres sous peu.