Les derniers mois nous ont donné maintes occasions de réfléchir, voire de nous alerter sur l’urgence d’une transition socioécologique. Ce qui est nouveau depuis quelques semaines, c’est que nous sommes obligés par un virus de nous placer en mode décroissance. Serait-ce une bonne occasion d’entreprendre un virage dont on a parlé beaucoup plus qu’on ne l’avait fait jusqu’à maintenant?
Ce qui est certain, c’est que le vrai défi de la transition c’est l’arrêt de la croissance puisqu’elle est insoutenable pour notre planète qui est riche, mais pas inépuisable. Leonardo Boff, un théologien brésilien, a écrit : « La Terre n’a pas besoin de nous. Nous avons besoin d’elle. » (13 mars 2020) Alors que nous savons que la terre a des limites, nous persistons à en tirer davantage que ce qu’elle peut fournir de façon durable. Les dérèglements du climat, les extinctions d’espèces vivantes, la croissance des inégalités sociales et les rapports prédateurs entre les nations sont autant de signaux d’alarme qui devraient nous amener à questionner la logique des marchés financiers et les politiques qui les entretiennent. Alors que nous avons les moyens comme jamais l’humanité n’a eu l’occasion d’en avoir d’assurer les conditions du bien vivre, nous en réservons l’accès à une minorité.
Le coronavirus a emprunté les voies de la mondialisation pour rejoindre à une vitesse fulgurante toute la planète. Les grandes entreprises coloniales ont fait le même type de ravages, mais à une vitesse qui n’est pas comparable. La disparition, du 15e au 19e siècle, de nombreux peuples autochtones en Amérique, en Afrique et en Australie est un héritage peu glorieux des premiers âges de la mondialisation. Aujourd’hui, les virus voyagent en avion par touristes porteurs et agents économiques en navette. L’accélération des communications accélère les épidémies en transit par les plus riches.
Le coup de frein à l’économie est formidable et suscite une mobilisation de ressources qu’on n’a jamais pensé consacrer à la correction des injustices historiques envers les Premières Nations ou de la marginalisation de milliers de personnes, ici et ailleurs, qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour mener une vie digne. En 2008, on avait grevé les ressources publiques en investissant massivement dans le sauvetage des banques prédatrices – inventrices des papiers commerciaux adossés à des actifs –, mais en laissant en place les mécanismes qui génèrent les inégalités. Est-ce que, cette fois, les fonds publics seront consacrés à rétablir la sacro-sainte croissance ou bien prendrons-nous un tournant vers le respect des ressources vitales? Étant déjà engagés dans une décroissance non choisie, allons-nous en profiter pour prendre le tournant qui s’impose plutôt que de continuer à détruire notre milieu de vie? Dans Le Devoir ce matin, une jeune chercheuse, Léa Ilardo pose très bien cette question.
Les annonces politiques ne pointent pas pour le moment vers une transition socioécologique. Il faut bien sûr s’occuper des personnes qui n’ont pas les moyens de passer au travers la crise sans de graves préjudices et les plans d’urgence sont bienvenus. Mais faut-il soutenir l’économie canadienne du pétrole – dont les marchés ne veulent plus de toute façon? Ne serait-il pas plus logique d’investir les mêmes ressources dans la diversification de l’Ouest canadien pour sortir de la dépendance à une ressource de moins en moins rentable et très destructrice du point de vue environnemental? Ça prendra des élus courageux qui voient au-delà de leur réélection… Mais ça prendra aussi des citoyennes et citoyens assez bien informés pour accepter de participer à de tels choix de société.
Ce qui est certain, c’est qu’après le COVID-19 la terre n’attendra pas que nous soyons prêts pour nous placer devant de bien plus durs défis que celui qui nous préoccupe actuellement. Au moment où les gens comprennent bien que l’ennemi invisible doit être pris au sérieux, nous avons besoin de personnes citoyennes et élues qui sont capables d’ouvrir le débat. L’espoir repose sur la solidarité, celle qui se manifeste actuellement et celle dont nous aurons besoin pour prendre le virage.