L’abandon et la résilience

J’avais prévu parler, dès ce premier billet, de ce qui contribue à forger un citoyen, un individu en relation avec les autres, conscient de sa contribution à un tout plus grand que lui-même. Je pensais commencer par le début, par l’enfance, où les parents sont un modèle et transmettent, parfois sans le savoir, leurs valeurs et leurs comportements. Or, l’actualité me pousse dans une autre direction, comme le vent, et je me laisse porter.

Il y a deux semaines, Jacques Parizeau est décédé, hier, c’était la Fête nationale des Québécois et, ce matin, j’ai pris connaissance de l’entrevue donnée à La Presse par le Docteur Gilles Julien. Ces événements m’amènent un constat : que nous voguons à vue, entre abandon et résilience…

Le développement collectif, celui d’un peuple, comme celui d’une région ou d’un village, commence par la fierté de ce qu’on est et de ce qu’on a et par la conviction qu’on peut agir ensemble pour être et avoir ce qu’on veut. À l’inverse, le sentiment d’impuissance tue, qu’il soit avéré ou non.

L’abandon. Nous soulignons à grands jets de flatteries la mort d’un homme; alors que, de son vivant, nous avons préféré l’écarter. Peut-être parce qu’il disait des choses dont la vérité dérangeait, peut-être aussi parce qu’il nous appelait collectivement à l’éveil et à la responsabilité. Nous célébrons de plus en plus timidement notre Fête nationale, alors que fondent les budgets qui y sont consacrés dans une quasi-indifférence. Quand il s’agit de prendre en main l’avenir de ce bout de terre et de culture que nous avons arraché à l’histoire, c’est comme si quelque chose cloche. Nous nous replions, ne voulons pas débattre, faisons comme si le sujet était clos et laissons dangereusement s’étioler les outils collectifs qui nous permettent d’exister et de nous développer.

Quand je lis certains journaux ou que j’entends certains commentaires, j’ai le sentiment que nous grugeons nous-mêmes notre progressisme social à grand coup de dents et de chacun pour soi. À ce titre, les propos du Docteur Julien dans La Presse d’aujourd’hui me frappent douloureusement. Je cite un peu : « J’ai été le seul gagnant du dernier budget ! », lance en riant le docteur Gilles Julien (22 millions ont été accordés à sa Fondation pour les cinq prochaines années)… « Est-ce à l’État de nourrir les enfants à l’école ? », demande-t-il en faisant référence aux coupes actuelles dans les mesures alimentaires. Le docteur Julien ne le croit pas, pas plus qu’il ne pense qu’il revient au gouvernement de financer l’aide aux devoirs ou tout un réseau de CPE. « Si on demande à l’État de faire tout cela, il ne fera pas bien sa vraie job. Et sa vraie job, c’est de donner une bonne éducation, accessible à tous, et de bons soins de santé ».

D’autres propos de chroniqueurs de La Presse et du Journal de Montréal glanés entre deux gorgées de café m’attristent tout autant. Ils laissent entendre que c’est à ceux qui sont touchés par les coupures actuelles, par la perte de leur emploi, par la pauvreté, etc. que revient le fardeau de se relever et de se reconstruire. Ils se font le relai, assis sur leur sentiment de vérité, des messages alarmistes et opportunistes des stratèges de la communication de masse qui nous disent qu’il faut carburer au pétrole et au gaz, que l’économie va mal et que tout ce qui embellit, tient ensemble et protège (la culture, la solidarité, la protection de l’environnement) est un luxe superflu. Est-ce le signe d’un sentiment d’impuissance?

Et la résilience. À l’opposé, je constate la montée d’une force citoyenne, renouvelée, une prise de pouvoir, cherchant une autre voie où il y a de l’espace pour la participation, pour l’entraide et pour une démocratie plurielle, ouverte et transparente. Je vois toute la résilience et la capacité d’action que déploient ceux qui se mobilisent aujourd’hui pour faire vivre leurs projets collectifs, envers et contre l’État et sa surdité désolante. Quelques exemples :

  • Le maire et les citoyens de Saint-Tite-des-Caps dans Charlevoix qui se débattent pour préserver l’intégrité du magnifique Sentiers des caps, qu’ils ont mis des années à aménager. Ce sentier est une source de développement local, un superbe projet collectif. Il est menacé aujourd’hui, par l’exploitation d’une carrière de granit, le ministère des Ressources naturelles ayant accordé un permis d’exploitation à un entrepreneur juste à l’entrée du sentier, à quelques enjambées d’un lac sauvage.
  • Les préfets, les maires et les citoyens de la région de Lanaudière (11 000 signatures au 22 avril dernier) qui se mobilisent face à la décision du Gouvernement de construire une ligne de transport électrique de 400km entre Montréal et le Lac Saint-Jean. Ils proposent de réutiliser l’infrastructure d’une ligne désuète, plutôt que d’en construire une nouvelle… encore sur leurs terres. Jusqu’ici le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles discrédite les solutions des élus et des citoyens, arguant que les experts de la Régie de l’énergie ont jugé la nouvelle ligne « incontournable ».
  • Le village de Sainte-Rose du Nord qui accueillera cet été un nouveau festival, entièrement citoyen. On y parlera et on y célèbrera l’action collective en divers thèmes (austérité, développement économique, féminisme, etc).
  • Enfin, toutes les personnes impliquées dans le mouvement « Touche pas à mes régions! » qui font front commun devant des politiques gouvernementales qui mettent tant à mal les outils collectifs et les gouvernances régionales.

Revenant à ma quête initiale des ingrédients de la citoyenneté, j’entends mes parents qui me parlent du Pays, de la responsabilité qu’ils me transmettent, celle d’utiliser mes capacités d’humaine à faire du mieux que je peux, pour moi et pour les autres. Je revois leurs gestes, me remémore leur engagement lorsque nos voisins avaient besoin de refaire leur toit, d’abattre un arbre, qu’il y avait corvée au village. Cela laisse assurément des traces.

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