Présenté en début mars à Maniwaki par le premier ministre François Legault, le Plan gouvernemental de régionalisation de 5000 emplois de l’administration de la fonction publique impressionne en première lecture. Comme l’indique lui-même en préambule le chef caquiste, il s’agit « d’un projet ambitieux et porteur pour le développement économique des régions ».
Mais en y regardant de près, on comprend être aussi devant une de ces opérations de marketing pré-électoral, comme semble les aimer le premier ministre, cette fois en duo avec son efficace ministre et présidente du Conseil du Trésor Sonia Lebel. Une grande séduction électorale ? En tout cas, elle en a le profil en jouant sur les cordes sensibles de l’aspiration des régions plus éloignées des grands centres au plein développement de leur communauté.
Essayons d’y voir clair, en gardant à l’esprit que les régions du Québec et les municipalités qui les composent ont maintes fois été déçues et désillusionnées des bottines politiques qui n’ont pas suivi les babines partisanes. D’ailleurs, une récente compilation du secrétariat du Conseil du trésor (Le Quotidien 14 mars) révélait que le pourcentage de fonctionnaires à temps complet en dehors de Montréal et Québec se situait à 31,8%, en baisse de 2 pour cent depuis 2016, alors que celui de la métropole et de la capitale Québec avait augmenté en moyenne de 1%.
L’engagement de 2018
En septembre 2018 devant les maires des petites municipalités réunis au congrès de la Fédération québécoise des municipalités, M. Legault s’était électoralement engagé à couper 5,000 postes de fonctionnaires des grands centres (les titulaires ayant pris leur retraite) et de les transférer (les postes) en région. Contrairement à d’autres formations politiques, il ne souhaitait pas déménager certains ministères et organismes dont les vocations s’arrimaient à certaines régions. Il proposait plutôt que les divers ministères et organismes publics et parapublics présentent au gouvernement des plans chiffrés de régionalisation des effectifs.
L’élection d’un gouvernement caquiste relançait en quelque sorte les relations (et les négociations) entre les municipalités et le gouvernement, mises à mal sous le règne du gouvernement Couillard. En début de mandat donc, le Ministère des affaires municipales et de l’Habitation mettait à jour la Stratégie gouvernementale pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires 2018/2022 avec un fonds de 1,3 G$ (jusqu’en 2024). Mais la version actualisée de cette stratégie du nouveau gouvernement n’abordait d’aucune façon le déplacement de postes de fonctionnaires vers les régions.
Après avoir été intensément accaparé par la longue crise qui a marqué la pandémie, le chef de la CAQ devait dans l’urgence se consacrer à la grande manœuvre politique de mettre le paquebot gouvernemental sur le cap électoral. À part la périlleuse réforme électorale qu’il a abandonnée prestement, il restait au chef politique cette promesse de transfert de 5,000 emplois de fonctionnaires dans les régions. Ce dont il a fait l’annonce à Maniwaki. L’absence des porte-parole de la Fédération québécoise des municipalités (5,000 h. et moins) et l’Union des municipalités du Québec (villes) laisse croire que ces organismes n’avaient pas été consultés dans l’élaboration et le lancement du projet.
Une approche économique
Pour la CAQ l’équation est simple. Simpliste? On le saura peut-être plus tard. Il faut venir en aide aux régions, particulièrement celles dont l’indice de vitalité est faible. Les municipalités les plus en santé se trouvent dans les couronnes de Montréal et Québec. Ce sont celles qui enregistrent une croissance démographique et une hausse de leur revenu total médian.
Les localités les plus dévitalisées se retrouvent loin des grands centres. Selon le gouvernement caquiste, les études démontrent qu’elles se situent à 75 kilomètres et plus des centres-villes de Montréal et Québec. Elles ont une population relativement âgée, et un taux plus faible de travailleurs.
Le premier ministre donne donc à son plan gouvernemental un caractère foncièrement économique. Pour lui, « le déploiement d’emplois de qualité sur les territoires les plus dévitalisés permettra aux régions de profiter de la présence de nouveaux talents, à long terme, et de l’effervescence économique qui accompagnera ce mouvement. (…) L’idée, précise-t-il, c’est d’avoir dans nos régions le plus possible d’emplois de qualité. » Il laisse à sa collègue Sonia Lebel du Conseil du trésor l’explication du plan et le déploiement de 5,000 fonctionnaires dans des régions dites dévitalisées.
Homme pragmatique, le politicien Legault joue quand même sur le sens des mots décentralisation et déconcentration selon les besoins du propos. Il présente le plan comme une opération de régionalisation par le transfert de postes de divers ministères et organismes vers les régions dévitalisées. Une exception majeure… Les ministères de la Santé et de l’Éducation, les deux plus importants en termes d’effectifs et de budget, sont écartés du plan. C’est décevant !
Quatorze bureaux gouvernementaux partagés (BGP), à venir, devrons bonifier la présence gouvernementale dans les municipalités retenues, et plus largement dans les régions administratives. Par contre, la grande diversité et les caractéristiques particulières de plusieurs municipalités suggèrent que d’autres facteurs ont pu jouer, particulièrement dans les villes de plus de 5,000 habitants. (*)
Par exemple, à moins de 60 kilomètres de Saguenay (146,000 h.), la métropole régionale, Alma (31,000 h.) a été retenue même si la ville ne répond pas à l’évidence aux critères de dévitalisation. Le choix a été sévèrement critiqué par les élus des deux MRC du nord du Lac-St-Jean dont plusieurs municipalités répondent aux critères de dévitalisation. La même analyse peut être faite pour la dynamique ville de Shawinigan (39,000 h.) à moins de 45 kilomètres de la métropole de la Mauricie Trois-Rivières (138,000 h.). Autre exemple : Victoriaville (45,000h.) profite de la proximité (60 km) et de la prospérité de Drummondville (68,000 h.) dans le Centre du Québec. Sur la Côte-Nord, Baie Comeau (25,000 h.) Bénéficie comme sa consœur, Sept-Îles (28500 h.) à 230 km plus au nord, d’une économie encore robuste qui regarde vers l’avenir.
Écartées de la sélection, plusieurs municipalités éligibles ainsi que des MRC ont fait savoir leur mécontentement, alors que les maires des municipalités retenues affichaient une satisfaction modérée pour ne pas aviver le mécontentement de leurs collègues des municipalités exclues. Rien de bon pour les relations avec Québec.
Le projet a été critiqué par le Syndicat de la fonction publique qui soutient qu’une quinzaine de bureaux de Services Québec ont été fermés au cours des derniers mois dans les régions du Québec. « On déshabille Pierre pour habiller Jacques », a indiqué le syndicat.
(*) Matane (Bas-Saint-Laurent), Alma (Saguenay–Lac-Saint-Jean), La Malbaie (Charlevoix), Shawinigan (Mauricie), Lac-Mégantic (Estrie), Maniwaki (Outaouais), La Sarre (Abitibi-Témiscamingue), Baie-Comeau (Côte-Nord), Gaspé (Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine), New Richmond (Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine), Thetford Mines (Chaudière-Appalaches), Rawdon (Lanaudière), Rivière-Rouge (Laurentides), Sorel-Tracy (Montérégie) et Victoriaville (Centre-du-Québec).
Le plan Lebel
La présidente du Conseil du Trésor a annoncé que les organisations et administrations publiques (OAP) devront rapidement présenter leur plan sur dix ans avec des cibles précises de régionalisation des effectifs et de services à la population. Le Conseil du Trésor s’appliquera à l’aménagement des bureaux, l’infrastructures technologiques et la gestion des ressources humaines.
En toile de fond de la campagne électorale à l’automne, le gouvernement caquiste dit accélérer la relance économique des régions ciblés. Les efforts seront donc intensifiés à court terme afin d’atteindre au moins 2000 emplois au 30 septembre 2022. Déjà, indique-t-on sans les détailler, 476 emplois ont été régionalisés entre le premier octobre 2018 et le 31 janvier 2021.
Au Conseil du trésor on rappelle que la pandémie a intensifié la mobilité des fonctionnaires, alors que le télétravail a été largement utilisé et demeurera un élément stratégique majeur dans les prochaines années, autant pour l’État que pour les entreprises. Selon les données de ventilation fournies par le Conseil du trésor, le plan devait déplacer 1524 emplois entre le premier février 2021 et le 30 septembre 2022. Par la suite, on prévoit en maintenir une moyenne 500 annuellement jusqu’au 30 septembre 2028.
Trois portes permettront de combler les postes : la dotation en région d’emplois devenus vacants dans les zones urbaines; la création de nouveaux emplois en région; le déplacement des emplois en zone urbaine vers les régions à la suite du déménagement volontaire des personnes qui les occupent. Une opération compliquée ? Elle pourrait le devenir si la rigidité technocratique prend le dessus, et/ou si surgissent des crises ou des blocages internes, ce qui est fréquent lorsque se mènent des réformes de gouvernance dans l’appareil public.
Des enjeux régionaux et locaux
On croit que le télétravail pourra attirer des candidats intéressés à travailler dans un environnement professionnel valorisé, de qualité, dans une municipalité en revitalisation. Avant de déclarer Bienvenue chez vous ! La petite séduction électorale devra réellement s’assurer que le milieu possède et offre des logements de qualité aux fonctionnaires qui ont habituellement les moyens de se les payer. Ou de chercher ailleurs. On le sait, plusieurs municipalités connaissent des pénuries de logements. Les régions dites dévitalisées pourront-elles, justement, attirer les candidats qualifiés pour les postes identifiés par les OAP ? C’est possible, mais peut-être plus complexe qu’il n’y paraît.
Le succès de l’opération reposera sans doute sur la motivation et la mobilisation des intervenants dans 40 ministères et 15 organismes de l’administration publique québécoise. « Ils sont davantage interpellés en raison d’une masse critique de personnel avec un potentiel de régionalisation, d’une présence en région ou d’une mission axée sur le développement territorial, » écrit-on dans la documentation du Conseil du trésor. Le bassin de cette éventuelle main d’œuvre compterait plus de 110,000 employés.
Le transfert de postes vers les municipalisés dévitalisées vise-t-il prioritairement des objectifs économiques ou constitue-t-il un véritable levier pour offrir de meilleurs services publics ? Le gouvernement répond que le plan répond à l’un et l’autre. C’est à voir.
Le plan du Conseil du trésor soutient implicitement que l’approche de proximité et la connaissance du terrain par les fonctionnaires retenus sont compatibles avec la vision économique, notamment par le travail en équipe multidisciplinaire par la régionalisation des emplois ? On l’espère.
Le télétravail sera-t-il effectivement une condition favorable pour les candidats à des postes régionalisés ? On pourrait le croire à condition que les Bureaux gouvernementaux partagés (BGP) deviennent effectivement pour les fonctionnaires un lieu de rencontre et de ressourcement entre collègues, de partage d’expertise, de diversité professionnelle. Un défi pour la fonction publique québécoise.
En attente de la décentralisation
Le plan gouvernemental de régionalisation de 5,000 emplois de l’administration de la fonction publique sera-t-il activement et ouvertement soutenu par le gouvernement, les organisations syndicales, les municipalités et les MRC ? Il faut bien sûr espérer que oui.
Par contre, il reste essentiellement dans sa nature, sa conception et son exécution une opération gouvernementale particulière et limitée de déconcentration d’emplois de la fonction publique en région. Tout en visant une meilleure livraison et une accessibilité supérieure des services sur le territoire québécois.
J’ai la conviction qu’on ne saurait le substituer au projet démocratique plus global et stimulant de décentralisation des services de l’État québécois sur le territoire et de régionalisation de la gouvernance politique par l’instauration d’une chambre régionale des élus. J’y reviendrai dans mon prochain billet.
7 réponses
Extraits de billets précédents sur le sujet.
Pour corriger la fracture de gouvernance créée par la centralisation excessive de l’État québécois, il nous faut mettre en œuvre un grand chantier de décentralisation ancrée dans une instance démocratique de gouvernance dans chacune des régions administratives du Québec. La mise en place de cette instance démocratique de gouvernance devrait être liée à un grand chantier de décentralisation de l’État québécois, donc des ministères, politiques et interventions gouvernementales avec les budgets et les ressources professionnelles dédiés aux directions régionales ministérielles et le cas échéant aux sociétés d’état.
Une chambre régionale par région administrative, composée d’élus de la région elle-même, arrimerait par une représentation numériquement égale les deux niveaux électifs de pouvoir constitutionnel que contrôle le Québec, celui des élus locaux (municipalités, MRC) et celui des élus québécois (députés de l’Assemblée nationale). La Chambre régionale serait présidée par un candidat élu à cette fin par l’électorat de la région lors des élections québécoises. Elle gouvernerait à l’aide de diverses commissions sectorielles consultatives et participatives – du genre de celles qu’avaient à l’époque les CRCD (conseils régionaux de concertation et de développement) – composées des représentants des directions régionales de ministères et des secteurs de la société civile.
Cette grande réforme devrait finalement aboutir à la création de la Chambre nationale des régions, composée des présidents(tes) des chambres régionales, d’un nombre égal de députés nommés par l’Assemblée nationale et d’une présidence, possiblement celle de l’Assemblée nationale. La Chambre nationale des régions aurait pour mandat d’étudier, d’émettre des avis et formuler des recommandations sur les politiques et les interventions gouvernementales de décentralisation et d’attribution des ressources en matière de gouvernance régionale et territoriale.
Le gouvernement québécois a la pleine capacité constitutionnelle et législative de créer cette instance institutionnelle régionale, de lui accorder les pouvoirs requis et les ressources nécessaires selon un modèle de gouvernance responsable et imputable. Le projet bien sûr implique une réforme de la démocratie parlementaire de l’Assemblée nationale et une modification des lois encadrant les pouvoirs législatif et exécutif.
La présence souhaitable, mais non indispensable à court terme, d’éventuels représentants québécois (députés ou fonctionnaires) du gouvernement fédéral à la chambre régionale ou aux commissions sectorielles devrait nécessairement faire l’objet de pourparlers et le cas échéant, de négociations ultérieures avec Ottawa.
La gouvernance ? Les députés bénéficient d’une pleine participation à la gouvernance de leur région administrative, comme élus redevables de l’intervention et des services de l’État sur le territoire et comme représentant des intérêts de cette région au parlement québécois. Les élus municipaux quant à eux participent à l’élaboration des priorités dans une vision régionale intégrée, développant ainsi une relation continue et productive avec les intervenants régionaux (élus québécois et société civile) et les composantes régionales ministérielles. Chacun participant activement dans un cadre démocratique à l’identification des besoins, le choix des priorités, l’élaboration des stratégies et l’attribution des ressources comme partenaires de la gouvernance sur le territoire régional.
Bonjour M. Vachon. Je suis largement en accord avec vos commentaires et vos précisions. Je suis d’avis toutefois que le sujet doit être remis à l’avant-plan avec un audacieux point de vue politique et démocratique qui interpelle les élus de l’Assemblée nationale et les élus du milieu municipal. Je vous reviens là-dessus dans quelques jours…
Bonjour monsieur Gagnon,
« … y inclus en territoire métropolitain » dites-vous. Certes, mais vous savez que les plaidoyers et les plaideurs en faveur de la croissance et de la puissance des métropoles ne manquent pas, et leur influence sur les décisions politiques à caractère territorial déterminent largement les orientations données à l’occupation, l’aménagement et le développement de la mosaïque territoriale du Québec.
Parallèlement, il faut approfondir la compréhension de la dynamique territoriale des régions que les évolutions récentes et en cours transforment, contribuant à modifier le rapport des activités humaines avec l’espace. Un des premiers effets est l’attractivité reconquise des villes et villages en région qui s’accompagne d’un mouvement croissant d’exode des grands centres. C’est une tendance forte que les tenants de l’idéologie de la métropolisation se refusent à reconnaître mais qui est en phase avec les évolutions technologiques, économiques, sociales et écologiques en cours qui participent à une reconfiguration de l’occupation et de la vitalité des territoires. Il faut repenser la science régionale et les politiques régionales pour les adapter au monde actuel. Ce qui n’exclue pas le rôle des métropoles mais les resitue dans un rapport de complémentarité avec les régions, non de préséance, voire de domination.
Merci, M. Vachon, de vos bons mots et de vos remarques toujours judicieuses et inspirantes sur le développement régional, la décentralisation, la déconcentration et la régionalisation. Il faudra, entre autres, trouver une voie pour « briser ce rapport de méfiance », affirmer la légitimité des revendications régionales, concilier les visions respectives du territoire, et convaincre les différents intervenants démocratiques d’instituer une efficace gouvernance régionalisée, y inclus en territoire métropolitain.
Merci, M. Vachon, de vos bons mots et de vos remarques toujours judicieuses et inspirantes sur le développement régional, la décentralisation, la déconcentration et la régionalisation. Il faudra
Oups! … une politique de développement régional dotée…
Billet fort intéressant qui traite de trois notions cruciales et interreliées : le développement régional, la décentralisation et la régionalisation.
Alors qu’au gouvernement on jongle avec ces notions à la fois politiques et territoriales depuis les années 60, on a le sentiment qu’on est toujours embourbé dans leur véritable signification respective ou, pire, qu’à chaque campagne électorale des scénarios chimériques sont élaborés, soi-disant pour une véritable politique de développement régional fondée sur plus de décentralisation et de régionalisation (déconcentration de la fonction publique).
Malgré ses engagements à « mettre les régions au coeur de ses politiques », le gouvernement Legault aura, comme les gouvernements Charest et Couillard, renoncé à élaborer et adopter une politique cadre de développement régional doté d’un plan d’action et des ressources appropriées. Les travaux préparatoires à l’élaboration du projet de Stratégie de développement économique local et régional amorcés en 2019 pilotés par la ministre déléguée au développement économique régional, Marie-Ève Proulx, ont été abandonnés suite à la démission de madame Proulx en mai 2021. Ce projet de Stratégie n’a été repris par aucun autre ministre. Décidément, le développement régional au Québec a un destin éternel d’enfant mal-aimé.
La répartition de 5000 postes de fonctionnaires en région devrait normalement constituer un élément d’une politique (ou stratégie) structurante, globale et intégrée, de développement régional, inspirée des principes de décentralisation et de déconcentration, reconnaissant le rôle déterminant des collectivités territoriales (municipalités, MRC, régions). Il faudra un jour briser ce rapport de méfiance de l’État envers les territoires.