La fracture

Sans surprise, plusieurs candidats, élus, commentateurs et journalistes ont mis l’accent sur les distorsions du système électoral québécois pour amoindrir, voire discréditer la victoire tout de même  impressionnante de la CAQ le 3 octobre.

Sans minimiser ces distorsions, en faisant valoir la stabilité que procure, a-t-il dit, le système actuel, le premier ministre Legault a écarté toute réforme du système dans ce deuxième mandat. On se rappelle qu’il s’était engagé à l’élection de 2018 à réaliser cette réforme, mais il était revenu sur sa parole après l’élection lors du dépôt du projet gouvernemental par la ministre Sonia Lebel.

Par contre, au lendemain de la victoire du 3 octobre, il a laissé entrevoir des mesures particulières pour les partis autres que l’opposition officielle, afin que QS et le PQ puissent s’acquitter au mieux de leur mandat parlementaire.  Mais les premiers commentaires de la chef du PLQ Mme Anglade, laissent croire qu’elle pourrait plutôt s’y opposer. Dans les circonstances ce serait une erreur stratégique aux allures de mesquinerie, puisque les deux partis en question, QS et PQ, ont recueilli chacun plus de voix que le PLQ.

En revanche, par éthique démocratique, le premier ministre devrait créer un groupe de travail multipartite pour documenter, débattre et proposer des types et des modèles de système électoral. Les conclusions du rapport seraient présentées et débattues à l’Assemblée nationale et potentiellement soumis au peuple lors d’un référendum qui pourrait survenir avant l’élection de 2006 ou plus tard.   Si souhaitable soit-elle,  une réforme de notre système électoral ne se réalisera certainement pas à court terme.  Tournons donc cette page temporairement et identifions les défis politiques qui attendent à court terme chacun des partis.

 

La tendance se maintient

Avant toute chose, il nous faut prendre acte des résultats du 3 octobre qui confirment le réalignement des courants politiques survenu à l’élection précédente de 2018, avec la prise du pouvoir par la CAQ,  la défaite cuisante du PLQ de Philippe Couillard, les modestes succès de Québec Solidaire et l’implacable déroute du Parti québécois.

Le topo des résultats des élections 2022 est de même nature.

/ PLQ  21 députés – Avec 16 élus sur l’île de Montréal, 4 dans la couronne métropolitaine et un élu  dans la Capitale nationale, le PLQ affiche une performance sans éclat qui l’arrime plus que jamais à son rôle de défenseur des intérêts de la communauté anglophone.  La chef Mme Anglade devra trouver le moyen de remodeler rapidement un Parti libéral coupé géographiquement et politiquement des régions québécoises. À moins qu’elle ne soit la première victime de la piètre performance du parti et qu’on lui montre la porte plus tôt que prévu.

/ Québec Solidaire 11 députés – QS a fait élire 8 députés sur l’île de Montréal, deux députés dans la région de Québec et une élue en région. Le parti est manifestement à la croisée des chemins. S’il ne veut pas demeurer en stagnation, il devra clarifier d’ici 2026 plusieurs de ses positions, notamment en  finances et fiscalité, sur  la question nationale et l’identité, l’environnement et la sécurité publique. Un travail dont dépendra sa crédibilité et sa capacité à gouverner le Québec.

/ Le Parti québécois 3 députés – Avec l’élection presque miraculeuse de son chef après une bourde de la candidate de QS, le PQ et ses trois élus sont désormais en mode survie. Dans l’espoir peut-être d’un autre miracle de son chef Paul St-Pierre-Plamondon. En priorité pour le Parti québécois la pédagogie souverainiste, à laquelle PSPP apporte déjà une créativité certaine,  récemment sur la symbolique question du serment d’allégeance à la royauté.

/ Le Parti conservateur 0 député – À moins d’une hypothétique victoire dans une partielle en cours de mandat, ou d’un transfuge, le PCQ devra compenser pour son absence à l’Assemblée nationale. La mission d’Éric Duhaime : mener une opération extrême de relations publiques plutôt que politique. Avec l’aide imprévisible de ses 530,000 votants et tout autre contestataire.

/ Coalition avenir Québec – Avec 90 députés le parti de François Legault confirme sa domination sans appel dans l’ensemble des régions, dont 33 élus dans les couronnes de la région métropolitaine, 16 dans la région de Québec et 39 dans les régions du reste du Québec. La CAQ est par contre peu présente sur l’île de Montréal avec 2 députés. Les dossiers touchant la métropole devront donc être encore traités par le bureau du premier ministre.  Par ailleurs, en tenant compte de son état santé, de celui de son gouvernement (usure du pouvoir) et celui des oppositions, M. Legault devra se demander dans une couple d’années s’il a encore lui-même  la motivation et l’énergie pour un exceptionnel troisième mandat.

 

Un profonde fracture

Les résultats de l’élection 2022 montrent une ligne de fracture profonde dans un Québec  politiquement morcelé en trois blocs territoriaux : la métropole Montréal, la Capitale nationale (Québec) et le reste des régions du Québec.

À la soirée télévisée du 3 octobre, dès lors que les tableaux firent apparaître les couleurs contrastées de la nouvelle configuration démocratique, les commentaires pointèrent presque unanimement sur l’incongruité de ce bleu qui recouvrait presque entièrement le Québec, à l’exception des 16 comtés rouges (PLQ) et des 8 orangés (QS) de l’île de Montréal. Le contraste était net, l’île de Montréal se démarquait politiquement des autres régions, même de celles de la couronne (CAQ 33 élus – PLQ 4 élus).  Sur l’image télévisée c’était frappant de voir l’île de Montréal, minuscule territoire rouge et orange presque invisible dans l’immense territoire bleu…poudre !

On l’a déploré ouvertement, il n’est pas normal que Montréal, le pôle économique et leader du développement de la province, soit de facto à l’écart du reste du Québec. Était-ce la faute du gouvernement de François Legault élu par les régions?  À moins que ce ne soit le contraire, que c’est plutôt la métropole elle-même qui avec le temps s’est délesté des régions du Québec. L’oeuf ou la poule?

On l’a oublié depuis longtemps mais son influence et son effet sont plus décisifs que jamais :  l’origine doctrinale de la vocation  économique particulière de Montréal comme pôle central de développement du Québec. La cause remonte à 1970. Cette année-là les économistes Higgins, Martin et Raynauld présentent un rapport préconisant la théorie des pôles centraux sur Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec.

La conclusion principale du rapport fait encore office de paradigme du développement du Québec :  Montréal est la locomotive économique du Québec dont la performance rejaillit sur l’ensemble des régions du Québec par effet d’entraînement et de ruissellement.

Depuis lors, les gouvernements canadien et québécois, souvent chacun de son côté, quelquefois en partenaires, s’attachent à stimuler vigoureusement l’activité économique et le développement de Montréal et sa périphérie immédiate.  Par le phénomène de ruissellement, la corne d’abondance au-dessus de la métropole devait faire éclore l’économie des régions, particulièrement celles qui bordent l’axe du fleuve St-Laurent, les régions périphériques étant généralement laissées en plan.

Plusieurs études l’ont démontré, la stimulation par effet d’entraînement n’a pas été au rendez-vous. Elle a même provoqué une concentration montréalaise de plus en plus étendu et profonde de l’activité économique, sociale, culturelle et étatique du Québec.  Au détriment des régions qui ont vu leur dynamisme et leur développement péricliter.

 

Les temps changent

Malgré l’agitation politique d’une démocratie qui se cherche, plus globalement les temps changent. En durée et en intensité.  Des changements systémiques perturbent nos vies,  créent de l’incertitude et de l’insécurité.

La crise sanitaire et les changements climatiques, la question nationale et le statut du français,  le déplacement des populations vers la banlieue et les milieux ruraux dans la recherche d’une vie de meilleure qualité, la dématérialisation de l’économie, la mondialisation des technologies de l’information, l’électrification des transports, tous ces phénomènes et d’autres, nombreux et variés,  exercent une pression sur la vie démocratique.

De nouveaux paradigmes s’installent et dictent les comportements. On nous dirige en quelque sorte vers un monde nouveau. Meilleur? Attendons voir les zones de fracture.

Par Laval Gagnon

 

 

 

 

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