Humeurs électorales

Les élections 2018 approchent. Avec les élections à date fixe, la campagne est déjà amorcée. Les médias rapportent chaque semaine le départ de parlementaires.  Plusieurs mouvements sociaux, environnementaux et autres publient leurs propositions en vue de la campagne électorale. Même au plan local, on commence à recevoir les sollicitations de partis politiques pour organiser des rencontres de promotion ou des débats publics. Tout ça m’incite à réfléchir sur le mode de scrutin et sur l’importance de cet exercice pour le développement des collectivités.

Il faut reconnaître que de part et d’autre nous avons des propositions à faire valoir. Dans l’immédiat, pour les partis c’est évidemment de promouvoir leur programme et d’aller chercher des votes. Pour les acteurs du développement collectif, il y a des leviers qui dépassent notre territoire et qui sont essentiels pour appuyer nos efforts et créer des conditions favorables au développement collectif.  La période électorale est donc une occasion de faire valoir les besoins de nos collectivités, de sensibiliser les partis politiques et de débattre de leurs propositions.

Par ailleurs, j’ai l’impression que la boite de scrutin est pleine de trous par où s’envolent les promesses électorales. Comment notre mode de scrutin peut-il assurer que les préoccupations diverses de tous les milieux soient réellement prises en compte dans les lieux de pouvoir? Comment assurer une meilleure représentation des intérêts divers et divergents de notre société?

Quel mode de scrutin privilégier?

La question n’est pas simple. Au Québec le mode de scrutin uninominal à un tour[1] est critiqué depuis longtemps. À la fin 2016, les partis d‘opposition à l’Assemblée nationale se sont entendus sur la nécessité de réformer le mode de scrutin et même sur l’option  d’un «mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire régional». Cette longue désignation signifie plus simplement que les électeurs et électrices votent à la fois pour un député de leur circonscription et une deuxième fois pour un parti qui propose une liste de candidates et de candidats qui sont représentatifs des différentes régions et de la diversité sociale en termes de genre, d’origine ethnique, etc. Cette option fut développée par le mouvement pour une démocratie nouvelle (MDN)[2]  qui existe depuis près de 20 ans et qui milite pour un mode de scrutin qui incarne la diversité québécoise.

Pour s’opposer à un mode de scrutin de type proportionnel, certain vont brandir l’instabilité qui découle de gouvernements minoritaires ou de coalitions qui gouvernent dans certains pays.  Par ailleurs, si on sort de la ligne de parti, se pourrait-il que les débats reflètent les diverses positions et intérêts présents dans la société ?

À la dernière élection fédérale, le Parti Libéral du Canada avait promis de changer le mode de scrutin uninominal à un tour. Mais, une fois élu majoritaire, le parti a glissé cette promesse sous le tapis. Car les propositions d’un comité parlementaire spécial formé de membres de tous les partis n’allaient pas dans le sens de leur vision et ne favorisaient pas leurs intérêts. Ce n’est pas le premier parti qui renonce à ses engagements sur ce plan, une fois au pouvoir.

Le tirage au sort comme outil démocratique ?

Dans un article précédent sur Nous.blogue[3], Jean-François Aubin réfléchit à l’idée du tirage au sort comme outil de représentation démocratique. Comme si les heureux gagnants de cette loto sociale seraient porteurs du bien commun pour l’ensemble de la collectivité. Malgré leur honnêteté et leur bonne volonté, les personnes ainsi nommées seront confrontées  à diverses pressions car le monde politique n’est pas un monde où prime la rationalité. C’est un monde de pouvoir et d’intérêts où s’activent plusieurs lobbys et mouvements sociaux.

L’idée du tirage au sort n’est pas nécessairement à éliminer d’emblée. Elle m’apparaît plus pertinente dans des démarches axées sur la délibération pour élargir le débat public. Je me rappelle l’expérience inédite de la Colombie Britannique il y a une dizaine d’années. Plutôt que de laisser les seuls élus mener la consultation sur une réforme du mode de scrutin, le Parlement de cette province a plutôt choisi de nommer une assemblée de citoyennes et de citoyens avec le mandat d’évaluer tous les modèles possibles pour l’élection des membres de leur Assemblée législative. Les membres de cette  assemblée citoyenne ont été choisis au hasard dans les 79 circonscriptions électorales de la province à l’époque. Il y avait autant de femmes que d’hommes et des représentants de tous les groupes d’âges, les origines ethniques et des représentants des premières nations.

Pendant un an, des présentations d’experts et des audiences publiques ont intéressé des milliers de personnes et favorisé un débat ouvert et transparent. Le principal résultat de cette démarche fut d’encourager une large participation à un débat en dehors des lignes partisanes. Mais la proposition qui en est ressortie est restée lettre morte. Cette expérience montre que même une proposition bien documentée par des experts et qui fait un large consensus arrive difficilement à s’imposer dans les choix politiques.

Faut-il s’abstenir de participer à la campagne électorale?

Les débats sociaux trouvent parfois difficilement le chemin jusqu’au vote à l’assemblée nationale. Car les rapports de pouvoir et d’influence dans les lieux de décision sont de plus en plus inégaux. Dans son message à l’occasion de son retrait de l’action parlementaire, Amir Kadir affirmait que «La justice sociale passe par le pouvoir politique».  Mais le chemin est long et laborieux. Et je doute que la période électorale soit le meilleur moment pour un large débat démocratique.

Malgré tout, je ne cesserai pas d’aller voter et même de m’impliquer dans une campagne électorale pour tenter de faire valoir des choix de société comme le font plusieurs mouvements sociaux. C’est une façon légitime de participer au débat démocratique. Mais, tout compte fait, l’implication de milliers de citoyennes et de citoyens dans leur milieu de vie est nécessaire pour maintenir une réelle vie démocratique. Notre action ne peut pas se restreindre à cette période; on ne peut pas faire l’économie du travail quotidien d’éducation populaire et de défense des droits sociaux dans nos collectivités.

 

 

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[1] C’est à dire qu’on a un seul vote pour un candidat qui se présente dans notre comté pour un parti politique. Le parti qui fait élire le plus de députés exerce le pouvoir même si un autre parti a reçu un plus grand nombre de votes répartis dans plusieurs comtés. Il s’agit d’un système électoral marginal car 85% des pays industrialisés ont un système électoral de type proportionnel.

[2] Voir : https://www.democratienouvelle.ca/documentation/publications-du-mdn-les-ateliers-vers-un-nouveau-mode-de-scrutin/

[3] Le tirage au sort comme outil démocratique

 

 

 

 

 

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