L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) nous apprend que les Groupes de médecine familiale (GMF) n’ont pas rempli leurs promesses malgré l’appui constant et répété des divers gouvernements et le financement public considérable accordé à ces cliniques médicales, en grande majorité privées. Est-ce vraiment surprenant quand on sait qu’il s’agit d’une version dénaturée des centres locaux de services communautaires (CLSC) créés par une loi de l’Assemblée nationale du Québec adoptée en 1971 à partir de l’expérience de cliniques populaires à Montréal.
Le plan initial prévoyait 210 CLSC desservant environ 10 000 personnes en milieu rural et 30 000 en urbain. Chaque CLSC doit mettre en place entre 3 et 6 points de services afin de pouvoir s’y rendre en 30 minutes maximum. Chaque point de service aura une équipe multidisciplinaire avec médecins, infirmières, travailleuses sociales, ainsi qu’une organisatrice communautaire. Où en serions-nous aujourd’hui si le système de santé au Québec reposait sur 1000 points de services couvrant l’ensemble du territoire et offrant des services intégrés de première ligne où les réponses aux besoins des personnes sont assumées par les professionnels les plus pertinents et non obligatoirement par le médecin? N’est-ce pas ce que promet, 50 ans plus tard, le nouveau projet de Guichet d’accès de première ligne?
Le modèle CLSC est multidisciplinaire, décentralisé, accessible et repose sur une approche de prévention et de proximité des milieux de vie. Pourtant en 1977, 5 ans après leur création, on ne compte que 72 CLSC qui ont recruté 111 médecins alors que l’on dénombre 350 polycliniques privées avec 1550 médecins. Le courant dominant du corps médical a adopté une position de boycottage des CLSC issus pourtant de la volonté de l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une opposition politique à un projet de décentralisation et de démocratisation du système de santé. Les CLSC sont en effet gérés par un conseil d’administration composé majoritairement d’usagers. En lieu et place, on se retrouve aujourd’hui avec des structures privées (cliniques, GMF, etc.) pour lesquels l’État doit toujours injecter davantage de fonds et d’« incitatifs financiers », y compris pour les immeubles qui seront toujours privés, mais sans que cela n’améliore l’accessibilité des services sociaux et de santé. Au contraire, selon l’IRIS, le transfert de ressources professionnelles des CLSC vers les GMF amorcé depuis 2016 correspondrait, sur une base annuelle, à une réduction de services psychosociaux offerts en CLSC « qui équivaut à plus de 700 000 heures de services de consultation sociale (une chute de 42 % de l’offre de service en CLSC) et à près de 60 000 heures de consultation psychologique (une chute de 52 %) ».
L’avenue de la privatisation des services de santé est un panier sans fond. Les intérêts privés et la logique de profit seront toujours exponentiels et insatiables comme le démontre la part disproportionnée que représentent les soins de santé dans le PIB aux États-Unis par rapport aux autres pays de l’OCDE, alors que l’espérance de vie y est la plus basse et la mortalité infantile parmi les plus hautes. Pour sortir de la spirale de la privatisation, il faut d’abord considérer le système de santé au Québec comme un bien commun et mettre en mouvement trois changements : abandonner l’hospitalo-centrisme pour développer les services publics de proximité et la prévention; impliquer les utilisateurs et les producteurs de services (et pas seulement les médecins) dans leur gestion et celle des établissements publics; démocratiser le système en décentralisant la première ligne vers les communautés locales avec une nouvelle gouvernance qui assure la participation des organismes communautaires, mais aussi celle des instances municipales et des élus locaux, ainsi que des communautés autochtones qui le souhaitent.
La privatisation structurelle de la santé, à laquelle les CLSC ont offert un contre-modèle, entraîne des conséquences désastreuses sur la pratique médicale elle-même, sur la prévention, la santé communautaire, les services à domicile ainsi que sur les services sociaux et communautaires qui sont la base d’une vision de la santé prise en main par les citoyens et les communautés, plutôt que prise en charge par des entreprises et des intérêts privés.