Samedi dernier avait lieu à Québec Action climat : une manifestation de volonté populaire, démocratique, de la société civile.
Les sociétés démocratiques ont vu croître l’influence et la participation d’organisations diverses, plus ou moins indépendantes des partis politiques et des États.
Les représentants du pouvoir traditionnel (élus, hauts fonctionnaires, forces de l’ordre) ont plus ou moins apprécié l’émergence de ces nouveaux acteurs – et adapté leurs comportements en conséquence. La capacité d’influence des diverses organisations de la société civile sur les affaires de l’État a rendu le job des élus plus complexe. Le clientélisme traditionnel était remplacé par l’animation d’espaces démocratiques de discussion.
Je me rappelle lorsque Louise Harel est arrivée dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à titre de députée provinciale du Parti Québécois, en 1981. Le quartier avait connu nombre d’élus qui entretenaient de bonnes relations avec les organisations communautaires du milieu. Mais jusque là tous avaient maintenu une relation traditionnelle où les représentants des organisations et associations rencontraient leur député en privé, un à un, pour présenter et déposer leur demande de soutien. Mme Harel décida de réunir tout le monde autour d’une table – rendant publique et interactive ce qui se faisait auparavant derrière des portes closes.
Il ne faut pas voir dans ce geste plus de sens qu’il n’en a : le quartier avait déjà une bonne habitude de concertation – et les budgets discrétionnaires dont il était question lors de ces rencontres étaient plutôt limités. Tout de même, ce geste de la nouvelle députée contribuait à ouvrir la discussion et à faire sortir les organisations sur la place publique plutôt que de se définir uniquement en regard de leur clientèle particulière. Mme Harel appréciait sans doute plus que d’autres politiciens ces échanges publics (et elle libérait ce faisant son agenda de dizaines de rencontres individuelles!).
Si je rappelle ces vieux souvenirs c’est pour mettre en perspective non seulement les changements de structure mais aussi les changements dans les compétences et les habiletés qui sont demandées aux élus (et aux organisations en général : il n’y a pas que les élus qui se retrouvaient sur la « place publique »). Cette capacité d’interagir publiquement, d’animer en quelque sorte la communauté n’était pas donnée à tous les élus…
Ce fut une décennie de chômage prolongé, de montée du discours néoconservateur avec Thatcher, Reagan puis Mulroney, où l’on affirmait avec force que l’État n’avait plus à se mêler d’économie… tout au plus pouvait-il préparer la main-d’œuvre : ce fut le « virage vers l’employabilité » des programmes fédéraux et provinciaux canadiens.
Mais le marché n’arrivait pas à intégrer tous ces jeunes qui accumulaient plus d’années de chômage que d’expérience. La nouvelle économie sociale permit de répondre à des besoins, économiques et sociaux, tout en sortant du modèle binaire « public ou privé ». On commençait à comprendre (Robert Putnam, Making Democracy Work : Civic Traditions in Modern Italy, 1994) que le développement économique n’était pas qu’une simple question d’investissement dans l’outillage et la formation. La vitalité du monde associatif et de la culture contribuait à rendre le développement économique possible.
Mais l’économie sociale, même solidaire, ne suffira pas à redresser le cap et assurer le virage important dont nous avons un urgent besoin. Certains imaginent un New Deal avec l’État social. Pour cela il nous faudra toucher et mobiliser une plus grande part de l’économie « traditionnelle ». Les PME de l’économie de marché ont une composante sociale méconnue qu’il s’agit de reconnaitre et soutenir plutôt que de la nier en amalgamant simplement marché et capitalisme. (L’entreprise du XXIe siècle sera sociale (ou ne sera pas)).
Si la disparition des CRÉ et le dépeçage des mandats des CLD ont mis à mal des réseaux et ressources élaborés « de peine et de misère » depuis 10 ans, que dis-je, depuis 30 ans, cela n’empêchera pas ces réseaux de se retisser, plus forts que jamais. D’autant plus forts que la mission « économie sociale », qui n’était pas toujours bien portée par les CLD, a été préservée et renforcée.
Il nous faudra apprendre à mieux travailler avec « le privé », tout comme il faudra lui apprendre à travailler avec nous. Il faudra aussi enseigner aux élus à ne pas avoir peur de la société civile, et éviter ainsi le repli confortable sur des relations clientélistes avec quelques acteurs forts, derrière des portes closes.
Gilles Beauchamp,