L’impact encore démesuré de la pandémie COVID-19 provoque une profonde crise de confiance envers le modèle capitaliste de croissance économique continue basé sur la mondialisation des marchés.

Heureusement, l’épreuve crée en même temps un irrépressible sentiment d’urgence qui induit de fortes prises de conscience collectives. Ces failles éprouvantes apparues conséquemment dans notre tissu social et notre système économique peuvent toutefois devenir  des opportunités qui engendreront le changement sous de nouveaux paradigmes.

Le Québec ne pourra  échapper à cette opération de réalignement comme il a dû le faire à plusieurs moments de son histoire. Les prochaines années seront déterminantes. Tout le défi résidera dans la capacité de dégager une vision consensuelle qui mobilise les forces vives nationales,  locales et régionales,  d’identifier des stratégies, de cerner des créneaux d’intervention, de mettre en place des outils et des approches efficaces et adaptées, d’investir dans les ressources humaines et dans la recherche et le développement.

Le premier ministre François Legault a été félicité à juste de titre pour sa gestion de la pandémie et tire profit  de la confiance qu’elle inspire dans la population. Tout le laisse croire, son leadership a sans doute grandement facilité, pour le meilleur et quelquefois  le pire, la gestion de la crise de la COVID-19. Les grandes décisions, celles qui ont déterminé l’action terrain des pouvoirs publics, ont été prises et assumées par un premier ministre qui sait s’entourer, dont l’esprit profondément pragmatique a  été guidé par  un jugement le plus souvent juste et avisé… et par le bon sens malgré les pressions de toute provenance.

Urgence nationale

Monsieur Legault entend être très proactif dans la mise en place des conditions qui détermineront l’après pandémie.  Il a même évoqué des mesures de relance qui nous rapprocheraient selon lui de la souveraineté économique. Aspirer au « maîtres chez nous » est un idéal noble et légitime, mais on ne doit surtout pas le limiter au développement économique bien qu’il en soit une des conditions essentielles.  Le seul objectif d’un retour à la normale pour la population québécoise apparaît déjà complexe et compliqué, illusoire pour certains,  tant la pandémie aura bouleversé l’ordre des choses ici comme ailleurs dans le monde.

Compte tenu de l’urgence nationale et de la crédibilité politique dont il bénéficie, le premier ministre Legault est investi de facto de ce pouvoir démocratique. Par contre,  il doit bien en mesurer la portée et suivre le conseil qu’il donnait lui-même à ses troupes en début de mandat : demeurer à l’écoute des aspirations du peuple. D’ailleurs, le rôle central que joue depuis toujours le gouvernement du Québec dans la cohésion et le développement de la société québécoise implique  que la responsabilité, énorme et cruciale,  d’initier et d’animer cette transition de relance repose sur ses épaules.

Le défi dont il s’agit est de l’ordre d’un projet de société qui interpelle l’ensemble  de la collectivité québécoise. Justement, François Legault  peut être l’initiateur de cette relance  profonde! Depuis une vingtaine d’années, le Québec est devenu un État de plus en plus centralisé, excessivement pour plusieurs dont je suis, autant au palier politique supérieur du Conseil exécutif  que contrôlent le premier ministre et son entourage, qu’en ce qui à trait à la lourde et sourde machine technocratique de la haute fonction publique et parapublique qui gère jalousement depuis Québec les nombreux et divers programmes normés. Cette centralisation de la gouvernance a érodé gravement  les contrepouvoirs politiques et les contrepoids démocratiques, instituant  une relation  finalement malsaine de dépendance  de la société civile et des élus envers le système subventionnaire des pouvoirs publics.

La marge de manœuvre

Plus tôt que tard, au-delà des ajustements ponctuels pour régler des problèmes à court terme, sonnera l’heure des réformes pour une relance qu’on voudra durable, moins conjoncturelle,  inspirée des nouveaux paradigmes. Contrairement à ce qu’a été la crise qui commandait une direction ferme et compacte, je crois que cette transition  sociale passe par la voie inverse, c’est-à-dire une vigoureuse opération de décentralisation des services et de régionalisation de la gouvernance. L’objectif? Faire descendre le pouvoir de décision et la capacité d’action vers les divers secteurs de la société civile et des acteurs des communautés locales et régionales. Sur le terrain communautaire donc. Bref, une réforme, initiée et soutenue par le gouvernement,  qui (re)met aux divers secteurs de la société civile et aux communautés territoriales un degré satisfaisant de pouvoir et les ressources appropriées pour agir sur leur destin, leur milieu.  Depuis toujours, on appelle cela de l’autonomie, voire de la souveraineté.

Il n’est pas question, bien sûr, que le gouvernement québécois se déleste de ses compétences constitutionnelles, ses missions  et ses champs d’intervention directe comme la santé, l’éducation, l’environnement, la culture. La décentralisation et la régionalisation doivent responsabiliser  les communautés en favorisant leur participation à la définition et la  livraison des services publics et à la gestion budgétaire des divers programmes sur leur territoire. Il faut (re)donner avec confiance  la marge de manœuvre nécessaire aux intervenants régionaux et locaux de la société civile avec  les outils et les ressources financières pour agir avec un maximum  d’efficience.

Oui, c’est une opération délicate qui doit être bien calibrée et étalée dans le temps. Mais sa mise en oeuvre est relativement simple et concrète si on respecte son objectif. Le gouvernement fixe les grandes orientations politiques, définit les enjeux avec les partenaires, débloque les ressources et accompagne les communautés dans  la gouvernance décentralisée,  selon la capacité et le désir de prise en charge des milieux sectoriels, régionaux et locaux. Un exemple parmi d’autres. Une opération du même ordre a été menée à la fin des années 1970 et au début des années 1980. J’y participais lors de la régionalisation de Radio-Québec. La « conjoncture » politique l’a cassée.  L’approche est de laisser aux forces vives déjà actives la marge de manœuvre pour s’organiser, jusqu’à questionner les systèmes décisionnels et les pratiques établies  souvent imposées de l’extérieur, chercher des solutions de rechange locales et régionales plus profitables aux communautés, renouveler la vision du développement des territoires et s’engager dans l’expérience exaltante du renouveau.

Profitant du 5e anniversaire de Nous.blogue, Communagir réaffirme son engagement de contribuer à ce que les collectivités du Québec soient en mesure de réaliser les changements qu’elles jugent nécessaires à leur développement. Saluons cette indispensable contribution au  développement des communautés et des régions.

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4 réponses

  1. Merci de ce texte M. Vachon qui décrit parfaitement l’enjeu crucial de la prise en charge du développement du territoire par les populations régionales.

    Portez-vous bien.

  2. Un rappel éclairé et lucide en faveur de la poursuite de la décentralisation et de la régionalisation. Les collectivités territoriales sont désireuses et prêtes à assumer plus de responsabilités en matière d’aménagement et de développement territorial ; mais aussi à travers des dispositifs de concertation et d’ententes de partenariat avec l’État dans plusieurs domaines qui concernent les services de proximité et d’action régionale. Des perspectives fructueuses dans cette voie supposent des pouvoirs et des ressources accrus aux municipalités locales et aux MRC. Une plus grande confiance envers la capacité d’agir des élus et des professionnels des collectivités territoriales conduira à l’adoption d’une véritable politique de décentralisation depuis longtemps promise mais délivrée au compte-gouttes. La décentralisation des pouvoirs est un signe de maturité politique et de responsabilité partagée dans un esprit de confiance et de collaboration. La régionalisation de l’appareil de l’État vient conforter et seconder l’action des pouvoirs décentralisés dans un relation de complémentarité.
    Concevons les MRC comme des bassins d’activités et d’emplois et lieux de gouvernance des services de proximité et du cadre de vie des citoyens, en étroite collaboration avec les municipalités locales. La MRC ne réduit pas les prérogatives et les compétences des municipalités locales, mais permet d´investir des champs d’intervention que la municipalité locale ne saurait faire seule.
    Désormais dotées de compétences et de moyens accrus découlant d’une politique et d’une loi de décentralisation, les MRC pourraient avoir l’obligation de préparer un « Projet de territoire » conforme aux orientations générales et aux priorités du Plan régional établi par la table des préfets (ou d’un autre organisme de niveau régional, éventuellement).

  3. Bien d’accord M. Lachapelle, une décentralisation qui inclut les ressources financières et l’expertise en responsabilisant les communautés.

  4. « Contrairement à ce qu’a été la crise qui commandait une direction ferme et compacte, je crois que cette transition sociale passe par la voie inverse, c’est-à-dire une vigoureuse opération de décentralisation des services et de régionalisation de la gouvernance. »
    Parfaitement d’accord avec cette affirmation. Il faudra que l’on décentralise non seulement le pouvoir de décider (une partie a été faite avec la municipalisation du développement), mais aussi les ressources financières et d’expertise requises pour que cela donne un réel pouvoir aux milieux locaux.

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