Vers une gouvernance régionale – deuxième partie

Ce billet est le deuxième d’une série de trois.
Lire la 1re partie (parue le 25 septembre 2019)
Lire la 3e partie (parue le 4 décembre 2019)

* L’État du Québec a atteint un degré excessif de centralisation de sa gouvernance. Le processus qui nous a menés à ce système politique et administratif hypercentralisé doit être inversé pour induire de la cohérence, de la cohésion et de l’efficience à l’action et l’intervention gouvernementale québécoise et au développement du territoire que composent toutes les régions du Québec. Le moyen : une vigoureuse et audacieuse décentralisation de l’État et l’établissement d’une gouvernance régionale, proche des populations, dans chacune des régions du Québec.

Une gouvernance disloquée

Dans les sphères du pouvoir, municipal, gouvernemental et parapublic, on est bien conscient des lacunes sérieuses et des clivages profonds qui minent la gouvernance du Québec et posent des défis pressants qui questionnent les capacités et l’efficacité de la société québécoise à les relever.

L’actualité nous montre régulièrement, à tous les niveaux, des cas coûteux où sont mises à mal la simple cohérence et la nécessaire cohésion dans l’action des pouvoirs publics. Les médias font continuellement état du phénomène avec un cynisme de circonstance qui biaise malheureusement le débat démocratique.  En fait, tout le territoire québécois a trop souvent été gouverné de façon débridée, erratique et fortement contrastée. Autant les instances de gouvernance de la région montréalaise sont devenues alambiquées, compliquées, source de division et d’impotence, autant celles des autres régions du Québec ont été dépouillées jusqu’à l’insignifiance et réduites à l’univers local.  Comme on le disait à une certaine époque, le Québec, celui qui habite le territoire, est en déficit d’empowerment ou d’autonomisation.  

Le diagnostic est pourtant clair. Le système de gouvernance est affligé d’impotence, ses outils d’intervention sont déficients et, paradoxalement, il faut en chercher la cause principale dans l’hypercentralisation du pouvoir au Québec autour de la personne du premier ministre.

Le cas de Montréal et les régions

En 2012, devant les militants de Projet Montréal, l’ancien maire de Québec, Jean-Paul L’Allier, en appelait au démantèlement des « structures extrêmement lourdes » qui paralysent la Ville de Montréal devenue ingouvernable depuis la vague de défusions de 2006 sous le gouvernement Charest.  Il dénonçait « les cocktails de médicaments qu’on lui a prescrits pour en limiter les dégâts, des structures irrationnelles et enchevêtrées dans un indigeste partage de l’autorité et des champs de compétences. »

Pour cause, l’île de Montréal compte 212 élus municipaux. Montréal la ville a 103 élus, une mairesse, 18 maires d’arrondissement, 46 conseillers de villes et 38 conseillers d’arrondissements. À cela, il faut ajouter 109 élus (15 maires et 94 conseillers) des anciennes villes reconstituées qui occupent 27% de la superficie de l’île de Montréal, principalement dans l’ouest anglophone de l’île, alors qu’elles ne composent que 12% de la population.   Conséquemment, l’ancienne Communauté urbaine de Montréal a été remplacée pour un conseil d’agglomération, composé d’élus municipaux de l’île. Au-dessus, on retrouve la stratosphérique Communauté métropolitaine de Montréal créée en 2001 avec ses 28 élus provenant de 82 municipalités totalisant 4 millions d’habitants sur plus de 4,200 km2. Où est la chatte? Où sont les petits?

Entre-temps, les très nombreux projets des promoteurs et des paliers supérieurs de gouvernement s’entrechoquent sans plan d’ensemble métropolitain, sans consultation ni réel partenariat avec des autorités municipales dispersées et finalement impotentes. Les gouvernements québécois et canadien, y compris les divers ministères, sociétés et organismes publics, interviennent sans stratégie d’ensemble, sans cohésion intergouvernementale et interministérielle, de façon opportuniste, ponctuelle, fragmentée, source d’erreurs coûteuses de planification minant le développement cohérent de la grande région montréalaise.

Pendant qu’on intervient massivement avec empressement dans la région montréalaise, les autres régions tentent de se relever de la coupe à blanc pratiquée par les gouvernements dans les structures et les budgets de concertation et de développement au nom de la fallacieuse reconnaissance des villes, des municipalités et des MRC comme « gouvernements de proximité ». Une véritable mise à mort. Conséquemment, chaque « ministre responsable de la région » a désormais toute la place pour exercer son rôle de parrain ou marraine du trafic d’influence politique auprès des intervenants régionaux, élus municipaux et représentants de la société civile.  La politique de la génuflexion demeure la règle.

Ce beau gâchis explique en bonne partie les résultats de la dernière élection. Or, en 2012, le chef de la CAQ se prononçait pour une réforme de la gouvernance de l’île de Montréal, et en 2017 pour celle de la Communauté métropolitaine. Porté au pouvoir par les régions en dehors de l’île, il n’a manifestement pas l’intention de bouger sur cette question, non plus sur celle de la gouvernance régionale, se disant satisfait des MRC. Il dirige le Québec avec le paternalisme d’un chef d’orchestre qui connaît sa partition. Il ne donne plus de signe de réforme du gouvernement ni de décentralisation de l’État.

Une évidence ressort de la situation que nous venons de décrire. Un fossé profond mine la démocratie et la gouvernance du Québec. Un fossé entre le niveau local/régional et le niveau provincial/national.  Ce fossé démocratique, il ne sera comblé que par une sérieuse et pertinente opération de décentralisation de la gouvernance et de l’appareil administratif étatique vers les régions. Les régions administratives, au nombre actuel de 17, composent et incarnent la riche diversité du Québec réel. Elles ont inscrit en elles l’histoire et le développement du territoire québécois. Elles constituent en quelque sorte de véritables patries, car elles témoignent de l’aspiration et portent la capacité des populations régionales à se gouverner et administrer les ressources, y compris budgétaires, que le gouvernement québécois (et fédéral) doit mettre à leur disposition.   

La suite le 4 décembre.

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3 réponses

  1. Merci M. Gibeault pour vos commentaires fort intéressants.
    Une mise au point en commençant. Tous les points que vous abordez sont traités précisément et en profondeur je crois, dans le troisième volet de mon propos sur la gouvernance régionale. Pour alléger le long texte que j’avais proposé sur le sujet, on m’avait suggéré pertinemment de le fractionner. Je l’ai largement réduit et j’en ai fait trois parties plus courtes. La dernière, selon moi la plus significative, sera publiée au début de décembre, le 4 je crois. Si cela vous intéresse, le texte complet (allongé) a été publié dans le numéro d’octobre de la revue L’Action nationale. Il a pour titre « Pour une gouvernance régionale dans une souveraineté partagée ».

    En attendant, voici quelques remarques notamment mon point de vue sur Montréal, une ville que j’aime beaucoup et que j’ai fréquenté intensément comme journaliste et professionnel à Télé-Québec, et que je fréquente toujours pour des raisons familiales et culturelles. Ma critique sur Montréal et sa région porte sur ce que j’appelle la balkanisation de la gouvernance politique de la métropole (à l’instar de Jean-Paul L’Allier) que l’ère Charest a accentuée avec le décrochage de Montréal du reste du Québec. L’élimination des structures régionales de concertation a fait le reste. L’accession de François Legault à la tête du Québec rétablit un sain équilibre dans les enjeux politiques, mais il semble que cela ne se traduira pas par des réformes vers une décentralisation et une régionalisation des services. Quant à la conjoncture économique, elle dépend peu du gouvernement actuel qui surfe sur les coupures drastiques des libéraux dans les services publics et la fébrilité de mise en place de l’économie numérique.

    Ce qui m’intéresse, c’est le système de gouvernance et les instances démocratiques. Une régionalisation de la gouvernance accouplée à une décentralisation des services. Je propose d’une part d’arrimer au niveau régional les deux niveaux de représentation démocratique, l’élu local (MRC incluse) et le député dans une chambre régionale dans chaque région administrative, y compris celle de Montréal (il y en a 17 pour le moment).
    La présidence de chaque chambre régionale serait élue lors de l’élection québécoise et siégerait à la Chambre nationale des régions.
    Quant à la mise en œuvre d’une telle démarche, je pense plutôt vers un instrument politique, un mouvement supporté par des organisations intéressées ou un véritable parti des régions qui ferait contrepoids au discours habituel.

    N’hésitez pas à me faire connaître vos réactions à mon prochain texte.

  2. Bonjour Monsieur Gagnon,
    Je vous avais écrit suite à votre premier article sur la question. J’attendais avec impatience la suite que vous annonciez. Je m’excuse de vous le dire aussi directement : vous m’en voyez plutôt déçu. De un, l’article donne l’impression, mainte fois entendu, d’un «régionaliste» qui, encore une fois (mais avec raison) râle contre Montréal qui accapare toute l’attention, tout l’argent et détermine la politique du Québec. Pourtant, le présent gouvernement de la CAQ vient de séparer, politiquement, le Québec en deux : les Régions et Montréal. Comment en profiter politiquement ?
    Vous parlez des «lacunes sérieuses et des clivages profonds qui minent la gouvernance du Québec» qui «questionnent les capacités et l’efficacité de la société québécoise à les relever». Mais tout ça dans une période où le taux de chômage au Québec n’a jamais été aussi bas, où nous manquons de main d’oeuvre, où le Québec nage dans les surplus. Et vous argumentez que le Québec est mal administré ? Il me semble que l’angle d’approche n’est peut-être pas la bonne …
    Enfin, l’approche totale, globale, «constitutionnelle» que vous favorisez me semblerait plus pertinente si elle devait être présentée, par exemple, à des États généraux du Québec. René Lévesque, s’il était encore premier ministre du Québec, aurait peut-être l’envergure pour soulever de telles questions. Mais je doute que nos politiciens actuels en aient la capacité ou le courage.
    Si les Régions veulent occuper la place qu’elles méritent, je doute qu’aucun gouvernement ne la leur donne. Comme le dit la chanson «Eh grand nigot t’es bête, ça s’prend sans se d’mander». Il faut que les Régions s’organisent, s’imposent, se donnent l’organisation pour exiger leur dû. Le clivage actuel dans le résultat des dernières élections ne serait-il pas une belle occasion ?
    Et je crois qu’une organisation comme se voulait être Solidarité rurale (ce n’est pas pour rien que le gouvernement a voulu sa disparition) est nécessaire pour structurer cette volonté, actuellement disparate mais bien réelle des Régions, d’avoir une voix incontournable au chapitre. LA POLITIQUE NATIONALE DE LA RURALITÉ était un bon commencement. Il faut remettre tout ça sur la table de l’actualité. Commencer par la base, quitte à mettre en opposition Montréal et Québec avec le reste du Québec. Et le reste du Québec, c’est la ruralité avec ses Régions et toutes ces villes pratiquement ignorées par le gouvernement : Victoriaville, Rimouski, Rouyn-Noranda, Gatineau, Sherbrooke, et tant d’autres …

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