Vers une gouvernance régionale – première partie

Ce billet est le premier d’une série de trois.

Lire la 2e partie (parue le 6 novembre 2019)
Lire la 3e partie (parue le 4 décembre 2019)

* L’État du Québec a atteint un degré excessif de centralisation de sa gouvernance. Le processus qui nous a menés à ce système politique et administratif hypercentralisé doit être inversé pour induire de la cohérence, de la cohésion et de l’efficience à l’action et l’intervention gouvernementale québécoise et au développement du territoire que composent toutes les régions du Québec. Le moyen : une vigoureuse et audacieuse décentralisation de l’État et l’établissement d’une gouvernance régionale, proche des populations, dans chacune des régions du Québec.

Une centralisation néfaste

Depuis les années 1980 particulièrement, tous les gouvernements ont graduellement et de plus en plus centralisé la gestion des services au détriment des régions (administratives) et des communautés locales. En même temps, sous prétexte de rationalisation, misant sur l’incontournable informatisation de la gestion, ils ont réduit constamment la présence des ministères sur le territoire par des compressions budgétaires et de sévères coupes de personnel, notamment parmi les professionnels et les gestionnaires. Au final, la centralisation a provoqué une diminution inacceptable de la quantité et de la qualité des services à la population et mis en péril le développement voire la pérennité de plusieurs régions du Québec.

Combiné à une décroissance de l’emploi souvent dans la grande entreprise sous contrôle étranger, le désengagement de l’État s’est sournoisement dissimulé derrière un discours vertueux de concertation, de prise en charge locale et municipale, d’aide à la recherche, de diversification économique, d’octrois de subventions ponctuelles, de programmes normés et centralisés. Le palier local (municipal), avec son extension la MRC, est devenu l’étalon de mesure arbitraire d’une action réduite du gouvernement toujours investi du pouvoir central.  Même le Parti québécois, le plus enraciné dans les régions, a succombé à cette mystification, en se dédouanant par une promesse de décentralisation des pouvoirs reportée au lendemain du grand soir de l’indépendance.

Conséquemment, le rôle régional du député s’est inexorablement effrité. Hors de la fébrilité du Parlement et de l’Assemblée nationale, qu’il soit au pouvoir, ministre régional ou dans l’opposition, le travail du député s’est finalement réduit au « trafic d’influence » de l’action politique partisane du gouvernement ou de l’opposition, officielle ou non. 

Le premier ministre est le chef du conseil exécutif (son ministère), lequel exerce un contrôle serré et incontestable sur le conseil des ministres et l’action gouvernementale. Et donc sur la démocratie québécoise. Cette gouvernance politique de plus en plus inadaptée crée et entretient une dépendance malsaine et une influence néfaste dans la société civile et la population. Le bureau du premier ministre demeure la tête de pont de la gestion d’un lobbying qui sert de contrepoids circonstanciel et opportuniste, à défaut de véritable contre-pouvoir dans les institutions démocratiques. À l’Assemblée nationale, les élus sont assignés stratégiquement par leur parti aux débats et aux commissions parlementaires dans une atmosphère besogneuse et compétitive entretenue par la pression constante d’une actualité volatile souvent amplifiée par une couverture médiatique théâtrale.

Un État fissuré

Deux référendums sur la souveraineté et une vingtaine d’années plus tard, le modèle de société né de la Révolution tranquille se serait largement fissuré, déstructuré même. Le néolibéralisme a fait son œuvre. L’État québécois ne serait plus le dépositaire historique d’une société francophone originale, une société distincte de facture sociale démocrate, avec des institutions nationales et civiles influentes, bien implantées et actives sur le territoire. Au plus serait-il devenu le gestionnaire des services à la population et aux individus, consacrant ses efforts au développement économique pour les financer.

Les contre-pouvoirs ont été neutralisés et dépouillés de leur influence démocratique, laissant toute la place au système plus ou moins occulte de lobbies, préférablement économiques et financiers, opéré à partir du conseil exécutif et du bureau du premier ministre.  Avec son personnel politique bien branché sur les cabinets ministériels, il est devenu l’antichambre de ces lobbies, les uns évidemment plus influents que les autres. En son centre, un premier ministre puissant, mais solitaire qu’une lourde charge amène à des compromissions où le pouvoir met en abyme la démocratie représentative de la société civile. 

Ainsi, le fossé s’est creusé et la relation s’est détériorée entre les députés et le Conseil exécutif, entre le pouvoir politique et la population, entre l’État et la société civile, entre les institutions et les citoyens, entre les élus de l’Assemblée nationale et le peuple, entre les ministères et les bénéficiaires des services, entre les municipalités et le gouvernement, entre les patries régionales et le national.

Une société divisée

D’ailleurs, au lendemain de l’élection du 1er octobre 2018, le Québec présentait les symptômes d’une société divisée, en morcellement, affichant de profonds clivages politiques, culturels, sociaux, économiques et ethniques sur l’île de Montréal même, entre la métropole, sa banlieue et le reste du Québec, entre les régions centrales et périphériques, entre l’urbain et le rural.

Au-delà des joutes partisanes et des débats qui s’annoncent à propos de la représentation électorale sur la patinoire de l’Assemblée nationale, plusieurs ont la conviction profonde que le Québec a davantage besoin d’une réforme majeure de ses institutions démocratiques et de son système de gouvernance, pour rapprocher le pouvoir politique des milieux de vie,  locaux et régionaux, redonner un pouvoir réel et les ressources aux élus municipaux et aux députés dans les régions, ces petites patries qui composent la richesse et la diversité du Québec contemporain. Et qui sont les garantes de son avenir… 

La suite le 6 novembre et le 4 décembre.

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5 réponses

  1. Je suis d’accord avec l’essentiel de votre point de vue M. Gibeault. Néanmoins, je vous suggère de prendre connaissance des deuxième et troisième parties de ma vision sur Nous.blogue respectivement à compter du 6 novembre et du 4 décembre. Globalement, après avoir constaté la centralisation excessive et néfaste de l’État et de sa gouvernance politique, je propose une audacieuse réforme vers une gouvernance régionale combinée à une vigoureuse décentralisation des services de l’État. Comme vous le constaterez dans mes prochains textes, je privilégie une feuille de route qui arrime le pouvoir démocratique local au niveau régional, qui ramène du pouvoir national au niveau régional, et qui élève le pouvoir régional au national. Quelle stratégie concevoir et mettre en opération pour y arriver ? Une réanimation de Solidarité rurale ? La création d’un nouvel organisme ? Une mobilisation des intervenants concernés de la société civile ? La création d’un instrument politique ? C’est à voir !

  2. Excellents les propos. Et on fait quoi alors ? Pourquoi ne pas ressusciter Solidarité rurale sur d’autres bases : comme avoir une douzaine de Solidarités rurale, une pour chaque région du Québec qui formerait ainsi un Regroupement des Solidarités rurales et nous représenterait auprès du gouvernement et ne laisserait pas toute la place à Montréal et Québec. Si cette ruralité avait existé quand le gouvernement Couillard a décidé d’abolir celle fondée par Jacques Proulx, la réponse des régions eut été toute autre. Ce qui reste de cette ancienne Solidarité rurale entre les mains de l’UPA ne travaille pas pour les Régions dans leurs diversités mais pour le monde agricole.

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