Dernier billet: synthèse

C’est le 26 février 2020 qu’a été publié mon premier billet. J’y écrivais : « Sortir du déni de réalité et créer un nouvel imaginaire, sans croissance, du bien commun, d’un bonheur basé sur la sobriété dans tous les secteurs d’activités, la solidarité et la dignité est le défi à relever maintenant pour survivre à cette situation sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Tout un programme… »

Un an plus tard qu’en est-il de cette illusion collective que la vie telle que nous la connaissons reprendra moyennant la « relance », quelques ajustements concernant l’environnement et se poursuivra indéfiniment? Le commentaire de René Lachapelle à mon  billet d’octobre illustre bien ce qu’il en est : En suivant les élections aux USA, il m’a paru évident que le rejet qui s’exprime en appui à Trump, repose fondamentalement sur la préservation des acquis quel que soit le groupe social auquel on appartienne. Et je pense qu’ici aussi nous sommes tellement préoccupés par le maintien de notre mode de vie énergivore, prédateur et individualiste qu’il sera difficile de nous faire adhérer collectivement à un schéma du bien vivre reposant sur la sobriété et la convivialité, la solidarité sociale et l’engagement collectif qui caractérise « un mode de vie sobre et équitable pour tous.

Les civilisations naissent, se développent et meurent

Le régulateur déterminant de ce processus propre à tous les êtres vivants est l’énergie disponible pour faire fonctionner les systèmes. Depuis la naissance des civilisations en Mésopotamie et égyptienne, née vers 3500 av. J-C, c’est l’augmentation ou la diminution de la production agricole et la capacité à générer des surplus alimentaires qui a permis la création des élites et d’experts nécessaires à la constitution de sociétés complexes. Depuis 150 ans, ce sont les énergies fossiles et particulièrement le pétrole qui sont le cœur et les poumons de la civilisation la plus complexe qui n’ait jamais existé. La société thermo-industrielle qui, grâce aux machines, a remplacé l’esclavage et le labeur aux champs, assuré notre confort, permis l’explosion démographique…, épuisé les ressources de la planète et compromet aujourd’hui notre propre survie.

Or, qu’en est-il de cette ressource vitale au maintien de notre mode de vie énergivore et à laquelle on doit ajouter comme variables critiques, les extrêmes climatiques, la perte de biodiversité (écocide), l’épuisement des terres arables et des ressources minérales, les méga feux, le surendettement des états, les QAnon de ce monde, les réfugiés climatiques, les pandémies, les famines, le racisme, les guerres, les inégalités croissantes, etc.?

Un rapport publié en décembre 2019 par le Geological Survey of Finland mentionne : « Aujourd’hui, environ 90% de la chaîne d’approvisionnement de tous les produits fabriqués industriellement dépendent de la disponibilité de produits dérivés du pétrole ou de services dérivés du pétrole. En tant que matière première pour divers types de carburants, le pétrole est une condition préalable de base pour le transport de grandes quantités de marchandises sur de longues distances. Le pétrole, aux côtés des technologies de l’information, des porte-conteneurs, des camions et des avions constituent l’épine dorsale de la mondialisation et de notre écosystème industriel actuel ». Il indique également « que l’économie de plus en plus insoutenable de l’industrie pétrolière pourrait faire dérailler le système financier mondial ».

Contrairement à la crise de 2008 ou les états avaient encore un certain espace financier pour limiter les dégâts, ils n’auront plus la capacité d’intervenir de façon massive et « généreuse » comme dans le cas de la présente pandémie suite aux pics pétroliers atteint, selon l’Agence internationale de l’énergie, en 2008 pour le pétrole conventionnel et d’ici 2022 pour le non conventionnel.  Moins de pétrole = moins de croissance (PIB) = moins de ressources (impôt) = moins d’interventionnisme étatique. Combiné aux autres facteurs de crises factuels, la frustration face aux privations, au populisme et l’autoritarisme croissant, on a un cocktail explosif parfait pour créer une crise globale, un effet dominos à l’échelle planétaire : finance, chute de la production agricole, commerce, crédibilité du politique, institutions, chaos social.

Ce n’est pas le papier de toilette qui va être notre principale source de préoccupation… Rien n’annonce une décroissance contrôlée. « Parler au pouvoir politique de décroissance c’est comme lui parler de Voldemort : ça le glace d’effroi »[1]. Fini la finance et l’économie mondialisé. Fini les bananes, le beurre d’arachide au déjeuner, les REER engrangés, l’iPhone 19 fabriqué en Chine ou le jean importé du Bengladesh. Les pénuries et leurs conséquences vont être catastrophiques, entre autres, sur l’emploi, les populations pauvres, la santé, la démocratie et la sécurité (pensons aux élections américaines et brésiliennes).

Dès lors qu’on ne peut garantir un approvisionnement en produits agricoles de première nécessité, on se trouve dans une situation qui entraîne irrémédiablement la population dans un contexte de vulnérabilité alimentaire et d’instabilité sociale et cela même dans des situations de crises mineures. De notre vivant, nous dirons que le confinement de 2020 aura ressemblé à des vacances sous les palmiers n’en déplaise aux complotistes. Le présent n’est plus en continuité avec le passé mais bien la manifestation d’une rupture radicale avec ce dernier.

Construire d’urgence la résilience locale

Il n’y aura pas d’actions significatives à l’échelle internationale et ce n’est pas quelques écogestes symboliques qui vont renverser les tendances. Il n’y aura pas de transition écologique douce et heureuse, sans frustrations à l’abri dans notre cocon, grâce aux énergies renouvelables et/ou le progrès technologique. En d’autres termes, vu la procrastination dont nous faisons preuve depuis 50 ans, une véritable économie de guerre s’impose pour espérer rester sous une augmentation de 2°C et éviter la chute dans l’abîme. L’optimisme béat qui repose sur la croyance en un découplage entre croissance économique et les émissions de CO2 doit être dénoncé, se manifesterait-il sous le couvert de la gauche, d’écologisme, de la libârté, du progrès, de scientisme ou de la croissance verte. Penser tout contrôler est un fantasme et comme le disait Yves Cochet[2] : On ne négocie pas avec la nature et la géologie.

Ce dont nous avons besoin c’est d’un discours de vérité, d’une conversation lucide, ouverte, éthique sur l’anticipation d’un effondrement global et de ses implications pour les collectivités afin de créer l’adhésion sociale d’une portion significative de la population face aux choix de société qui s’imposent, sans fausses promesses ni fausses solutions.

Alors que nous entrons en territoire inconnu et qu’il n’y a pas de réponses simples, l’avenir repose sur le local qui seul peut développer de nouveaux types de réseau à échelle humaine sur lesquels nous avons un certain contrôle. Une économie, des structures d’entraide et de coopération régionale de survie autonome au niveau alimentaire, énergétique et de biens de première nécessité doivent être mise en place. Les acteurs locaux, dont les politiciens, en sont la clé. La survie et la sécurité d’une région passe indubitablement par la régénération d’une multitude d’outils de production agricole, couplée à une dynamique d’actions transversales dans des domaines complémentaires tels que la transformation, la commercialisation, la création de monnaie, la sécurité, la formation et la recherche pour des solutions à faible impact carbone et environnemental.

Pour coexister face à l’adversité, nous nous devons de différencier les besoins accessoires (laisser tomber) des impératifs (devons garder) qu’imposent l’adaptation aux bouleversements à venir. Pour mobiliser, illustrer les implications, systémiques, irréversibles des changements climatiques et énergétiques sur les territoires et démontrer leur caractère structurel. Identifier et bâtir des stratégies de résilience « low tech » qui vont contraindre et orienter l’action sur les collectivités locales. Définir les rôles des municipalités, MRC comme chefs d’orchestre. Épuisé, prisonnier d’un modèle obsolète, dépassé, l’état sauveur sera de moins en moins présent.

Le tour du jardin

Ce billet, mon huitième en un an, visait à encourager des discussions sur des sujets que la plupart d’entre nous préfèrent ignorer. J’espérais également contribuer à créer de nouveaux imaginaires et donner du sens aux changements en cours et ainsi susciter l’engagement dans un processus d’adaptation de nos collectivités. Pour moi, il s’agit d’une responsabilité de partager les connaissances que j’ai eu la chance d’acquérir dans le cadre de mon travail, et ce, malgré que les sujets du déclin qui a débuté et de l’Effondrement anticipé soient anxiogènes. Aujourd’hui, je pense que pour l’essentiel j’ai fait le tour du jardin avec ce que la formule du blogue me permet.

L’enjeu central est d’apprendre à vivre dans un univers « contraint ». Chaque gain pour réduire les turbulences et les dégâts du déclin et de l’Effondrement[3] sur notre coin de pays a son importance pour nous-mêmes et le bien commun.  J’encourage toutes celles et ceux qui pensent qu’il est important de ne pas céder au découragement, à se regrouper et à se soutenir, à surmonter leurs peurs et oser… s’engager dans une démarche à leur mesure, avec compassion et bienveillance en cette époque où l’intolérance et les agressions de toutes sortes vont se multiplier au même rythme que l’incertitude.

Merci à René Lachapelle de m’avoir mis en contact avec Sophie Michaud et Marie-Claude Labrie de Communagir et à ces dernières de m’avoir publié sur un sujet aride, mais qui me tient profondément à cœur.

 

[1] Jean-Marc Jancovici, spécialiste de l’énergie et du climat, enseignant, conférencier et auteur engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique

[2] Mathématicien, écologiste et politicien français

[3] Fin anarchique, planétaire et rapide des façons normales de se nourrir, de se loger, de se déplacer, d’être soigné, d’assurer la sécurité, de commercer, etc.

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2 réponses

  1. Je comprends bien la gravité des enjeux que soulèvent la prédation des ressources (les prélèvements au-delà de leur capacité de renouvellement), la destruction des écosystèmes dont nous dépendons pour vivre et le très grave problème des inégalités sociales qui font porter à la majorité le prix (et le poids) du confort d’une minorité dont nous sommes. Je suis d’accord que les résistances à une sobriété volontaire sont énormes en Amérique du Nord et dans les pays du Nord en général. Effectivement les catastrophes climatiques ou autres grèvent de plus en plus les capacités des États, notamment parce qu’un minorité (moins de 1%) s’accapare la richesse créée et la cache dans les paradis fiscaux. Mais je suis content que tu proposes Yves que les gens entreprennent de faire le changement à leur mesure. Je crois aussi que les gouvernements locaux devront bouger (plus rapidement qu’actuellement) pour que cela devienne significatif et je crois que l’action concertée est une bonne avenue pour les pousser dans cette direction. Mais je considère aussi que sans des politiques publiques qui répondent à cette poussée de la base, il y a peu de chances que cela entraîne la transition.
    Tu termines une série de billets sur ce blogue, mais je compte sur la continuité de tes réflexions pour inspirer l’action urgente qui s’impose. Solidairement
    !

  2. Salutation à toi Yves ! Rendu dans les sphères de la philosophie sociale.

    Ton article est super. Je suis de ceux qui priorise le développement local, basé sur les besoins locaux observés par la population constituée des gens ordinaires.
    Notre système global ne fonctionne que s’il y a une croissance constante. C’est comme la crise des logements aux états unis. Autour de la crise de 2008, on disait aux gens qui n’avaient que très peux de cash pour une maison, « Achète, si tu ne peux rembourser, ce n’est pas grave, le prix des maisons augmente tellement vite que tu pourra toujours vendre avec un profit » Les gouvernements centraux actuels ont la même approche. quand l’économie sortira du COVID, les augmentations des activités économiques revenues « à leur normal » vont effacer les dettes astronomiques….. On garoche des milliards qui vont finir dans les poches des plus riches encore….

    Bonne réflexion, c’est super.

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