Je ne sais pas par quel aveuglement j’aurais pu l’éviter… l’actualité m’a encore frappée, me donnant tristement matière à pimenter ma réflexion sur les ingrédients de la citoyenneté.
D’abord une école publique en manque d’air, n’en pouvant plus de se serrer le corset. S’ajoute à cela le ministre de l’éducation, François Blais, lui-même dans le corset de sa rhétorique politicienne. Entre les deux, des parents qui cherchent le moyen d’agir pour ne pas que s’étiole davantage cette école où grandit leur enfant.
Le Ministre reproche aux parents d’ « instrumentaliser » les enfants en les associant à un mouvement de chaînes humaines autour des écoles. Le ministre suppose, assurément, que les parents ne leur ont pas expliqué les raisons de ce geste solidaire. Il suppose sans doute aussi que les parents ne devraient pas apprendre à leurs enfants que la désobéissance est, non seulement possible, mais nécessaire lorsque que les valeurs et les choses auxquelles on tient sont menacées.
Quel genre d’enseignement le Ministre, docteur en philosophie, dispensait-il à ses étudiants alors qu’il était professeur de sciences politiques et qu’il les entretenait sur les inégalités sociales (dont il a fait sa spécialité)? Tentait-il de les amener à comprendre les enjeux et à développer leur sens critique ou leur professait-il sa vérité pour qu’ils la gobent docilement?
S’il y a à s’offusquer, me semble-t-il, c’est d’entendre la réalité « instrumentalisée » dans la bouche du Ministre, lorsqu’il martèle que les services aux élèves ne seront pas touchés.
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Pourquoi avons-nous si mauvaise mémoire collective? Pourquoi oublions-nous si vite le sens et la mesure des choses?
J’ai recherché la définition du verbe « éduquer ». Le dictionnaire Larousse m’a fourni celles-ci, éloquentes malheureusement sur la dérive de sens que nous vivons aujourd’hui :
- Former quelqu’un en développant et en épanouissant sa personnalité.
- Développer chez quelqu’un, un groupe, certaines aptitudes, certaines connaissances, une forme de culture.
- Faire acquérir à quelqu’un les usages de la société.
Éduquer voudrait donc dire de transmettre à un individu des savoirs lui permettant de comprendre, de juger et d’agir. Éduquer serait de donner de la lumière, de la liberté, de l’espace de choix, mais aussi d’amener un individu à se définir en liens avec les autres, à développer un sentiment de responsabilité envers le monde et la société dans laquelle il vit.
En regardant la manière dont on traite aujourd’hui l’école publique québécoise, je ne peux que constater qu’on s’éloigne de l’esprit d’éduquer. On l’ampute de ses moyens, on en rogne la démocratie plutôt que de lui donner de l’air, on pressurise l’enseignement et la marge de manœuvre des écoles, on axe de plus en plus la formation supérieure sur l’acquisition de compétences « employables ».
En avons-nous le luxe alors que nos taux de décrochage scolaire (15,3% des jeunes et 18,8% des garçons) et d’analphabétisme fonctionnel (19 % des Québécois sont analphabètes et 34,3 % éprouvent de grandes difficultés de lecture) restent alarmants? En avons-nous le luxe alors que le Québec est en mal criant d’une démocratie inspirante et vivante, investie par ses citoyens?
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Couper dans l’éducation, c’est une inégalité sociale annoncée!
Si l’accès au savoir dépend de la capacité des parents à « acheter » une garderie, une école privée ou encore des services d’orthophoniste pour leur enfant, force est de constater que les chances ne sont pas équitables.
Il y a seulement quelques années, en 2008, nous nous sommes indignés en lisant les résultats de l’Enquête sur la maturité scolaire des enfants montréalais (publiée par la Direction de la santé publique de Montréal). Nous y avons appris que les jeunes enfants n’entraient pas tous égaux à l’école, que certains n’avaient pas les acquis de base et que cela hypothéquait leur capacité à réussir par la suite.
Sept ans plus tard, nous passons le financement des services de garde et des écoles publiques à la moulinette de l’austérité. Nous mettrons aussi bientôt fin à plusieurs actions de prévention à l’échelle des collectivités locales (le gouvernement du Québec et la Fondation Lucie et André Chagnon n’ayant pas renouvelé leur partenariat à la base d’Avenir d’enfants). Pour en ajouter, les réformes et compressions actuelles dans le système de santé démantèlent l’outil collectif que sont les directions de santé publique, vigies des enjeux sociaux et environnementaux. Le problème serait-il réglé?
Nous ne sommes pas à l’abri des reculs. L’école québécoise « gratuite et universelle » (peut-on encore le dire?) n’a pas encore l’âge de la retraite. Le système d’avant les années 60, qui laissa tant de québécois (surtout francophones) ignorants et exclus des espaces de pouvoir et de décision, n’est pas loin… nos parents s’en rappellent. Cinquante ans, c’est court pour perdre le sens de ce qui a animé la Réforme Parent.
Un court texte, pour notre mémoire : L’éducation au Québec, avant et après la réforme Parent.
Il est instructif sur le progressisme et le courage politique des artisans de la Réforme.
Il porte aussi fortement à réfléchir sur la vision actuelle des maîtres d’œuvre du virage économique, social et politique que nous vivons, ainsi que sur les conséquences collectives de l’attrition et de l’ « instrumentalisation » de notre système d’éducation du préscolaire à l’université.