Écrire à la croisée des idées politico-philosophiques et sociologiques, avec des grains d’envolée littéraire : Tome 2, La complexité

Je suis assise à mon bureau. Mon regard se perd à travers la vitre vers le Saint-Laurent, l’autre bord de la 132 qui le coupe de la ville. Le fleuve est de toute beauté; l’espace bitumineux est laid. Le contraste est saisissant.

Depuis la dernière fois que j’ai écrit ici, la notion de la diversité a continué à faire son chemin entre les lignes de mon journal, de mes lectures et de mes pensées… Je réalise à quel point nos sociétés capitalistes avancées se perpétuent sous le poids de l’hégémonie (un seul monde, une seule vérité dite objective) et de la dualité polarisante (eux ou nous, gauche ou droite, économie ou État…); donc par l’absence de pratiques de la diversité qui nous permettent d’appréhender la complexité du réel. Nos sociétés capitalistes avancées se perpétuent grâce à un discours dominant qui nous répète ad nauseam: ‘’Une seule vérité est vraie. Choisis ton camp, pis sois docile. Choisir son camp, voilà la seule liberté d’imagination et la seule liberté de pensée qui soit désormais raisonnable et réalisable, alors choisis bien’’.  En d’autres mots, il n’y aurait qu’une seule version de ce qui est vrai, de ce qui est possible, de ce qui est bon ou mauvais; une seule catégorie de citoyens légitimes. Et donc, lorsque je réfléchis à l’économie ou au politique autrement, je deviens hérétique, illogique, bonne pour les nuages…. Misère… Sortez le bûcher, j’ose réfléchir autrement.

Nous sommes plusieurs à le dire; cette logique a atteint ses limites de connaissance du réel et d’imagination des possibles.  La mécanique de notre pensée et de notre intelligence émotionnelle collectives a besoin d’une mise à jour, d’une version 3.0 à la hauteur de la complexité du réel et des enjeux locaux et mondiaux, surtout en ces temps de crises géopolitiques et climatiques. Comment embrasser tout ça, y naviguer collectivement et quasi-confortablement? Non seulement j’ose y penser, j’ose même y répondre un peu. 

Sûrement en se donnant la lucidité de dire que la complexité existe de manière naturelle et inévitable, qu’on le veuille ou pas, juste parce que tous les humains vivent des réalités si différentes. Ne plus se comporter collectivement comme un enfant de 2 ans: ‘’ coucou! si je ne le vois pas, ça n’existe pas’’, mais plutôt se relever la tête et s’ouvrir la raison et la sensibilité collectives à la diversité et complexité ambiantes.  Ensuite, en se demandant comment faire pour penser, être ensemble et agir collectivement une fois qu’on a établi la diversité et la complexité comme bases du réel et du possible. Cela suppose qu’on apprenne à avancer ensemble même lorsque la rencontre avec soi-même et avec l’autre est inconfortable et que le chemin à suivre et les résultats escomptés sont difficilement prévisibles et saisissables. Puis, en se donnant le droit d’imaginer des utopies réelles. Nous n’avons plus le choix de toute façon. Nous n’avons plus les moyens de continuer à penser comme nous le faisons depuis l’ère industrielle. Les crises géopolitiques et climatiques actuelles exigent une transition systémique et socioécologique nourrie à la justice sociale et environnementale pour le bien-être du plus grand nombre de vivants, aussi variés et multiples soient-ils, et dont les humains font partie.

Concrètement, parce que nous sommes des humains, nous sommes des cerveaux, des corps et des cœurs uniques et multiples qui subissent dans le concret du réel les dommages inégaux et structurels de nos sociétés capitalistes avancées, de génération en génération, territoire après territoire, communauté après communauté… Ainsi, dans les faits, ce n’est pas utopique de vouloir sauver sa peau et celle de son clan. Mais le monde ne se change pas à une seule personne, à une seule volonté, ni même d’un seul mouvement collectif. Et donc, comment mener des changements systémiques lorsque l’action part toujours de cerveaux, de corps et de cœurs réels et circonscrits dans le temps et l’espace avec une portée, certes, mais inégale et limitée? Comment accumuler nos pouvoirs d’agir individuel, malgré la diversité des êtres et des situations, malgré la complexité du réel, jusqu’à ce que ces pouvoirs deviennent collectifs, structurels, nationaux puis mondiaux?

J’ai eu la chance de me pencher sur la théorie de l’érosion de Philippe Dufort (qui s’est inspiré des écrits de Erik Olin Wright). Cette théorie est apaisante et motivante: il y aura transition socioécologique et justice lorsqu’une diversité de tactiques, de traditions et de logiques viendront prendre d’assaut le réel, simultanément et successivement, pour créer des brèches fragilisantes dans toutes les strates du système. Les initiatives qui créent des alternatives hors du système sont essentielles afin de permettre aux gens de trouver eux-mêmes des solutions aux enjeux qu’ils vivent. Ensuite, simultanément et tout aussi essentielles sont les réformes au niveau des lois et des règles de production de capital et de redistribution des ressources, au sein même des États, afin de réduire les obstacles systémiques et institutionnels. Tout comme deviennent, après coup, essentiels les efforts de briser les structures hégémoniques éventuellement fragilisées et de les affronter, afin de démanteler les sociétés capitalistes avancées, sans jeter tous les humains et les êtres vivants à terre. Vous pourrez visionner sous peu sur la chaîne YouTube de l’OVSS une vidéo sur la théorie de l’érosion que j’ai humblement produite. Tout ceci suppose que, collectivement, nous soyons relativement capable de vivre et de cheminer dans cette diversité de traditions et de manières de faire et de penser, dans la complexité des enjeux, des réalités et des solutions, même en désaccord les uns envers les autres, même sans se comprendre tout à fait.

 

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