Dis-moi en quoi tu crois…

Cet été, je suis plongée dans l’histoire du développement collectif. Je trouve l’expérience vraiment enrichissante. Je suis retournée dans la littérature de plusieurs disciplines et champs de recherche, plusieurs approches et courants. Cette fascinante aventure m’aura réservé bien des surprises, des sourires, des fiertés, mais aussi bien des maux de tête et des deuils. J’ai l’impression de faire le chemin de Compostelle, version développement collectif.

En retraçant texte après texte l’évolution des idées, de ce qu’on a fait, de ce en quoi on a cru, de ce qu’on a appris, de ce qui s’est amélioré, de ce qui a régressé, de ce qui tourne en rond, de ce qui a été dit et redit, je constate avec plaisir qu’à différentes échelles on en a essayé des affaires au Québec, et aussi un peu partout sur la planète. Derrière les grandes idées et promesses de la démocratie, de l’éducation, de la décroissance, du développement durable, de l’égalité homme/femme, de la souveraineté, de l’économie sociale, de l’accès à l’information, etc., il y a beaucoup de gens qui ont bûché fort et qui ont mis en place des actions, des organisations et des politiques publiques qui ont fait une réelle différence, qu’elle soit grande ou petite.

Toutefois – moment d’épiphanie personnelle – devant la complexité du monde, je réalise que je ne crois plus en une idée, une solution unique, salvatrice à grande échelle. Sentiment de vide… Boule d’angoisse… Je n’en avais jamais vraiment pris conscience. Quelque part, bercée par la médecine moderne qui nous mène à croire qu’on trouvera un jour LE remède, j’avais oublié que je n’y croyais pas.

De là a découlé une petite expérience : mes amis eux? (de cette fameuse génération «Y»), ils en disent quoi? Est-ce qu’ils croient? Je me suis donc lancée, à quelques occasions.

***

– Vous là… aujourd’hui, dans le monde dans lequel on vit, croyez-vous en quelque chose qui améliorerait significativement les conditions de vie de la vaste majorité? Croyez-vous fondamentalement en quelque chose qui serait porteur d’un développement plus juste?

– [Regards de panique… Rires gênés… Rires gras…]

– Je suis sérieuse.

– [Regards de panique… Réflexion… Début de réponse par le plus courageux.]

***

Résultat de l’expérience :

L’Éducation (avec un grand «E») a encore la cote. C’est la seule réponse pour laquelle il n’y a pas trop d’ambiguïté. Ensuite, il y a quelques grandes tendances, mais les réponses deviennent plus alambiquées, partielles, pleines de nuances. D’une part, il y a quelque chose qui nous ramène plus proche. L’entraide de proximité, le retour de la bienveillance dans son quartier, son village. Dans le même esprit, on ajoute l’ouverture aux autres et la tolérance. Bref, l’action tangible. Toutefois, on sait que ce n’est pas suffisant. À l’autre bout du spectre, il y a donc tout ce qui touche l’idée de décroissance, dans une perspective de développement durable. On semble vivre avec l’idée que la décroissance est inévitable, mais en même temps, les chemins autres qu’individuels ne sont pas faciles à saisir. C’est pourtant clair que dans une réelle lutte aux inégalités sociales, tous ne pourront pas concrètement améliorer leur sort individuel. Probablement que pour nous, jeunes Nord-Américains, scolarisés et en emploi, ça impliquerait de réduire notre niveau de vie. Finalement, au passage, je me surprends que l’action politique ne fasse presque jamais partie de la réponse. On dirait que c’est perçu comme un levier qu’on a perdu, concédé, en absence d’alternatives.

Bref, pas très scientifique et plutôt circonscrit comme expérience, mais beaucoup de plaisir et des discussions fort intéressantes. Les résultats obtenus sont surtout mitigés, complexes, intangibles et dépendent de beaucoup de facteurs. C’est un peu « toute pis rien », « mi-figue, mi-raisin », beaucoup de « si » et de « bémols ».

Je présume que pour certains c’est plutôt inquiétant. On dirait que, dans le discours ambiant, on fonde beaucoup d’espoir sur la jeunesse pour nous sortir de la morosité ambiante. Sincèrement, je ne crois pas que ce soit une histoire de jeunes ou de moins jeunes, ou encore de remède magique à inventer. Cette absence de grands repères n’est-elle pas représentative de la complexité réelle du monde dans lequel on vit? Ne sommes-nous pas plutôt dans un moment historique qui nous concerne tous?

C’est pourquoi je vous partage la réponse la plus étrange et la plus apaisante que j’ai reçue : l’éthique de la passation. De la manière dont je l’ai compris, cette idée de passation nous renvoie à notre capacité de prendre un pas de recul, de faire un bilan honnête, de voir où nous sommes rendus et pourquoi, de faire du ménage ensemble dans nos idées. Contrairement aux Européens, qui peuvent être embourbés dans leur histoire, de notre côté, on ne l’est peut-être pas assez. On dirait qu’on préfère réinventer, être dans l’action.

À première vue, la passation ça sonne passif et on pourrait croire que ça passe nécessairement des plus vieux aux plus jeunes. Mais en y pensant bien, je constate que le défi de la passation, ça implique tout le monde. Ça prend des gens pour raconter, mais aussi pour questionner, pour écouter, pour comprendre, pour brasser, pour réinterpréter à la lumière de ce qu’on sait aujourd’hui et de ce qu’on a appris. Non seulement c’est très actif, mais ça me semble ô combien pertinent dans le moment que nous vivons.

Je remercie de tout cœur mon amie qui a sorti cette idée, en apparence farfelue. Je ne sais pas pour vous, mais l’éthique de la passation, ça me parle beaucoup. Dis-moi en quoi tu crois… et on trouvera peut-être qui nous sommes!

Voilà donc le récit de ma petite expérience. Je vous invite à faire de même avec vos proches et m’en donner des nouvelles. Vous allez voir, ça pimente un petit souper entre amis ou en famille. En plus, si vous lisez ce blogue, vous êtes probablement déjà cette personne de qui on attend ce genre de question. C’est un peu notre rôle social, surtout si l’idée de passation résonne pour vous aussi.

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