J’ai retrouvé dans ma bibliothèque un vieux livre de poche de Paul Rouaix, linguiste du 19e siècle et auteur en 1897 d’un dictionnaire des idées suggérées par les mots, intitulé « Trouver le mot juste ». Il a lui-même écrit une préface par laquelle il justifie la création de son dictionnaire en affirmant que « la grammaire enseigne les lois, des formes et des juxtapositions des mots ». Il en conclut que, en conséquence, les enfants sont d’une pauvreté de vocabulaire peu imaginable. « Les dictionnaires ordinaires sont utiles, ajoute-t-il, puisque les mots désirés y figurent évidemment, mais pour les découvrir, il faut d’abord les connaître et, si on les connaissait, point serait besoin de les chercher ». Il est d’avis que les dictionnaires sont des dictionnaires de « version » qui traduisent les mots par des mots. Alors qu’un dictionnaire des idées suggérées par les mots est un dictionnaire de « thème », puisqu’aux mots représentant l’idée simple se juxtapose en un ordre raisonné les mots qui traduisent cette idée dans ses éléments, ses espèces et ses nuances. L’important ne serait donc pas une question de choix de mots usuels, mais plutôt celui de la riche langue française toute entière qui figure dans ce dictionnaire des idées pour la trouvaille du mot juste.
Curieux, j’ai feuilleté ce vieux dictionnaire particulier et j’ai ouvert le chapitre des mots dont la première lettre est « D ». J’ai choisi le mot « dialogue ». Déception! Y apparait une seule référence, soit « voir conversation ». J’ouvre donc le chapitre de la lettre « « C » et y découvre le mot « conversation » sous lequel se trouve une longue liste de « mots idées ». J’y trouve le mot « dialogue». Il est accompagné d’une cinquantaine d’autres idées : entretien, causerie, entrevue, colloque, conciliabule, pourparlers, palabre, bavardage, jaserie, caquetage, potin, réplique, causeur, interlocuteur, bavard, jaseur, et quelques autres. Le mot « conversation » m’apparait alors comme étant un mot général qui réfère à toutes les formes d’échanges verbaux entre deux ou plusieurs personnes, sans nuances. Certaines idées, suggérées d’idées rattachées à la conversation, sont familières, utiles, instructives, éducatives alors que d’autres sont sources de conflits. De là, la nécessité de trouver le mot juste lorsqu’il est question de « conversation ».
À cet égard, le dictionnaire traditionnel reprend son importance. Le dictionnaire Larousse, par exemple, définit la conversation comme étant « un échange de propos sur un ton généralement familier. Ou un entretien entre des gens responsables ayant un objet précis, référant, comme exemple, aux conversations diplomatiques. »
Quant au « dialogue », le dictionnaire traditionnel le définit comme étant « une conversation, un échange de vues entre deux ou plusieurs personnes, une discussion visant à tirer un terrain d’entente. Ou un ouvrage, un livre ou un texte, présenté sous la forme d’une conversation, de questions et réponses ». Et, dans les dictionnaires modernes, on parle désormais « d’une utilisation interactive d’un ordinateur. » Il s’agit d’un échange par écrit en langage court, mais qui permet le dialogue, un échange d’idées portant pour le bénéfice des interlocuteurs. On peut ainsi imaginer une équipe de blogueurs traitant d’un même sujet dans un premier essai, avec l’entente de commenter et échanger des idées par un blogue de deuxième essai.
Autant de conversations éducatives, instructives, informatives, résultats d’un temps de pédagogie et de concertation. Des échanges ou discussions bien différentes des autres formes de conversation auquel le dictionnaire des mots de notre ami Rouaix proposait. En effet, il n’y a pas d’enrichissement du savoir dans l’idée de conversations plus ou moins secrètes (conciliabules), ou encore de conversations longues et oiseuses (palabres), les propos futiles, médisants ou indiscrets (bavardages) ou les échanges de médisances ou calomnies (jaseries). Cette forme d’échange entre des personnes ne mérite certes pas l’idée de dialogue. Elle oblige plutôt à choisir un mot juste qui n’est pas le mot «dialogue».
Le mot « dialogue » m’apparaît comme étant la définition de la forme la plus noble de la conversation. L’étymologie du mot le confirme. Du grec ancien, composé du préfixe « dia », exprimant l’idée de séparation, suivi du mot « locos », soit la parole ou le verbe, « dialogue » devient le mot juste pour identifier une conversation entre deux ou plusieurs personnes qui livrent leurs paroles et reçoivent celles des autres en vue d’enrichir mutuellement leurs connaissances et leurs savoirs, et ce sur un ton familier et respectueux des interlocuteurs. Ce mot réfère à un mode de conversation qui est faite de raisonnement, de discernement, de respect et de sagesse. Le dialogue véritable, disent quelques proverbes africains, suppose la reconnaissance de l’autre à la fois dans son identité et dans son altérité. Et rappellent que « ce qui est le plus difficile dans l’art du dialogue, ce n’est pas de parler… mais d’écouter! » Ils insistent aussi sur le fait « qu’une de nos armes les plus puissantes est le dialogue ». Un dialogue qui mène à une décision pacificatrice, si l’objectif de la conversation était la prise de décision.
On ne peut nier que de nombreux conflits se règlent par le dialogue. Tensions entre individus, problèmes familiaux, conflits entre patrons et employés, et aussi guerres et conflits. Ce qui faisait dire à Victor Hugo que « le dialogue paraît en lui-même constituer une renonciation à l’agressivité ». On ne peut nier que le dialogue favorise une bonne éducation citoyenne de tout niveau : dialogue entre des enseignants et leurs étudiants, dialogue entre individus et groupes qui veulent enrichir leurs savoirs ou connaissances, comme nous le disions plus avant. De plus, cette reconnaissance des valeurs et de l’importance de l’autre inspire la confiance. Elle est l’ennemi de la méfiance. L’absence de la reconnaissance de l’altérité de l’autre ou de la capacité d’écoute transforme plutôt le dialogue en « un dialogue de sourds ». Un dialogue inutile et inefficace. En fait, il n’est alors qu’une simple conversation, vide d’idées.
À bien y penser, le dialogue est la conversation essentielle et incontournable de la démocratie. La vraie démocratie, celle d’une société dont le gouvernement est celui du peuple, par le peuple et pour le peuple. Non pas un gouvernement d’une minorité d’émetteurs (les élus) et une majorité de récepteurs (le peuple). Non. Dans de telles sociétés, écrivait un blogueur du journal Le Figaro de France (2001),[1] « plus on légifère, moins il y a de dialogue social ». Et lorsque le dialogue social est inexistant, c’est que les élus souffrent d’agoraphobie, craignant la tyrannie du peuple, alors qu’au contraire, par la sagesse du dialogue, naissent des sociétés dont l’élément central est le citoyen.
Place aux dialogues !
[1] DeBertrand Collomb Figaro 2001