Héros, soumission et plaisir de la chose 

Sur les chemins de la citoyenneté : chronique d’un nouveau détour

Il y a quelques jours, j’ai lu dans Le Devoir la chronique de Fabien Deglise sur l’indignation. Phénomène quotidien à l’ère des réseaux sociaux, l’indignation est cet épanchement émotif public, sur le vif, prenant souvent la forme d’un tir nourri et groupé sur une victime : le Gouvernement, les cyclistes, les automobilistes, le burkini ou, très tristement, un individu en particulier.

J’ai accroché sur ce passage : « Sur le chemin de la revendication, l’indignation s’égare souvent en se donnant des faux airs de critique, celle qui réside désormais dans l’excès d’émotion plutôt que la difficile rationalité et l’instruction du jugement. Elle confond bien souvent sa portée avec celle de la révélation, de la dénonciation à caractère social, particulièrement celles incarnées par des Chelsea Manning, Julian Assange, Edward Snowden et dont l’élévation au rang de héros de la transparence et de la défense des libertés collectives au mépris de leurs libertés individuelles n’est pas étrangère à une montée de l’indignation dans l’actuelle profusion. »

Dans l’indignation collective, quelques initiateurs (quelques héros – j’y reviens) et beaucoup d’adeptes. Beaucoup d’aprioris, de positions tranchées et tranchantes, de Vérités qui mériteraient de passer le test du polygraphe. Peu de débat, somme toute; car qui n’est pas d’accord fait mieux de se taire, de crainte de voir les projecteurs de la vindicte se braquer sur lui.

La figure du héros

Le héros est un personnage remarquable par sa bravoure et ses exploits. On s’identifie à lui. Ses comportements pointent vers le « bien », comme une boussole indiquant le chemin à suivre. Il propose une image, un cadre rassurant, nous protégeant des dérives de nous-même, autant que du monde extérieur.

Dans le discours, le qualificatif de héros a le dos large. On y range allègrement Superman, le chien qui donne sa vie pour sauver un bébé, Lisbeth Salander, P.K. Subban et… Edward Snowden.

De fait, comme plusieurs choses, le héros moderne tend à s’individualiser et à descendre de son piédestal. Moins d’héroïsme des grandes choses ou des grands moments, mais du senti, de l’humain, du proche. On adopte son héros sur mesure, sa vedette de hockey ou sa starlette aux dents blanches, comme un Surmoi positif, presque atteignable (si seulement on y mettait les efforts).

Pourquoi a-t-on besoin d’un héros?

J’ai écouté la réponse de Boris Cyrulnik, héros survivant de la 2e Guerre Mondiale, aujourd’hui psychiatre, psychanalyste et auteur1. Selon lui, l’identification au héros tient à un trait profond de la nature humaine : la propension à se soumettre volontairement à une figure, un slogan, une idée. Une servitude qui répond à un besoin d’émotion positive, rassurance et qui peut supplanter le raisonnement.

Cyrulnik explique que, pour « juger » par soi-même, il faut douter et que cela n’est pas agréable. Comprendre, prendre du recul, comparer est un travail qui relève de l’intellect et qui implique de se mettre en porte à faux des idées reçues, de s’y confronter. L’humain n’aime pas cela, semble-t-il.

Dans l’histoire des peuples, le totalitarisme et ses dérives naissent et vivent de ce besoin de servitude volontaire en présentant une certaine vision des choses comme la seule possible et en démonisant les différences et les divergences. Selon Cyrulnik, le nazisme, mais aussi plus actuellement l’État islamique, en sont des démonstrations crues, rappelant au passage que nul peuple n’est à l’abri de cette plongée dans l’enfer de l’enferment des idées et de la haine de l’autre.

Pour (ou contre) le développement collectif

J’en conclu qu’il faut du courage pour penser et agir librement, pour s’affranchir des héros et du confort de leur ressembler. Qu’il faut aussi du courage pour développer une pensée critique, au-delà de l’indignation de groupe.

Plus je réfléchis à la question du héros et de son corollaire – la soumission volontaire -, plus elle me taraude. Plus elle m’apparaît centrale dans un développement collectif se construisant sur la citoyenneté et la diversité.

À l’inverse d’une démocratie pâle, pilotée à coup de relations publiques, il faut probablement tendre à déboulonner nos héros (ou à multiplier les héroïsmes, si nous en avons besoin à tout prix). Cela veut peut-être dire, pour les Québécois, de laisser dormir René Lévesque et Maurice Richard dans leur tranquillité respective. De nous regarder franchement, maintenant, dans nos aspirations de peuple métissé, tiraillé, mais capable d’arguments et rompu à l’art de la survivance.

Peut-être que le débat est une nécessité pour la santé d’un peuple, pas un trait de caractère latin. Peut-être qu’il est un rempart à la moutonnerie, au repli vers l’idée unique, à l’indignation comme seule arme.

Peut-être que les Québécois devraient se fâcher quand on leur dit qu’ils sont bons dans les consensus!

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Petit aparté d’actualité :
Référendum/pas référendum… Encore ça :-/… Bien sûr qu’il en faut des référendums. Parce que les questions doivent être posées au peuple, pas aux aspirants chef de parti.

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Autre petit aparté d’actualité :
Je peux témoigner du pouvoir grisant, voire salvateur, de l’indignation, lorsque bien sentie devant une nouvelle particulièrement choquante. Ainsi donc, les deux commissaires de l’Office national de l’énergie (ONÉ) qui ont fricoté avec notre ex-premier ministre (celui-là), ont passé les beaux jours de leur précédente carrière au service de l’industrie pétrolière et gazière… Misère! On n’est pas tannés de se faire f…?!

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1 Entrevue accordée à Guillaume Erner dans le cadre de l’émission L’Invité des Matins le 20 avril 2016 sur France Culture

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