La crise climatique peut-elle créer de nouvelles conditions d’innovation dans l’action collective et un développement des communautés plus intégré et plus cohérent ? Peut-elle imposer aux acteurs du développement social un repositionnement les amenant à tenir compte de manière conséquente de la dimension écologique? Quelles sont les initiatives qui le font et comment?
Ce sont là les questions et les attentes du Collectif des partenaires en développement des communautés (CPDC) qui regroupe depuis 10 ans les principaux réseaux nationaux d’acteurs du développement social territorial au Québec. Citons la Table nationale des CDC qui fédère les 65 corporations de développement communautaire; le RQIIAC, dont les membres constituent la majorité des organisatrices et organisateurs communautaires des CISSS/CIUSSS; la Coalition montréalaise des tables de quartier (CMTQ) qui regroupe les 30 tables de quartier à Montréal; le Réseau québécois de Villes et Villages en santé qui compte près de 200 municipalités membres; etc.
Un projet de recherche partenarial a été déposé en novembre dernier au Conseil de la recherche en sciences humaines du Canada (pour une réponse au printemps 2020) ciblant les initiatives collectives locales qui intègrent des visées de transition socioécologique et de lutte aux changements climatiques afin que les membres du CPDC soient plus aptes à favoriser l’émergence de ces initiatives et à les soutenir adéquatement.
La question centrale est : comment les démarches de développement des communautés, surtout dédiées actuellement au développement social, peuvent-elles être contributives des efforts collectifs à fournir pour assurer la transition socioécologique et une lutte probante contre la crise climatique? Ces démarches ont acquis au Québec une grande expertise dans l’agir-ensemble intersectoriel qu’elles doivent mettre au service des enjeux de transition socioécologique. Les démarches de développement des communautés territoriales se définissent comme différentes formes d’action collective structurée qui, par la mobilisation des populations concernées et des acteurs locaux (institutionnel, communautaire, privé), ciblent des enjeux collectifs reliés aux conditions et à la qualité de vie au moyen de l’identification de priorités, de la mobilisation de ressources et de la mise en place de réponses appropriées. Ces démarches prennent des formes variées : 30 tables de quartier à Montréal, Développement social intégré dans Charlevoix, Initiative sherbrookoise de développement des communautés, Table des partenaires du développement social de Lanaudière, etc.
Les communautés urbaines ou rurales subissent les impacts du vieillissement; la métropolisation et la migration vers les villes; l’élargissement des inégalités sociales et de santé visibles dans la crise de la Covid-19; les défis du vivre-ensemble en contexte de diversité culturelle et de transformation des rapports avec les communautés autochtones. Ces enjeux se croisent au creuset de la crise du modèle économique axé sur la croissance qui oblige les sociétés à chercher de nouvelles avenues pour une économie carboneutre et la préservation de la biodiversité.
La transition socioécologique ne pourra pas être qu’une affaire de gouvernements, de scientifiques ou de marché. Elle devra inclure les communautés locales, car elle implique une transformation des modes de vie dont les pourtours gagnent à s’appuyer sur des processus de démocratie locale et de solidarité tels ceux mis en œuvre par les démarches territoriales de développement. Le défi est d’inventer des modes de développement soutenable face à des mutations planétaires irréversibles, alors que les tentatives internationales comme l’Accord de Paris (2015) et les conférences des Nations Unies sur les changements climatiques n’ont pas des résultats à la hauteur des espoirs.
Les acteurs du développement des communautés constatent et soutiennent une demande citoyenne croissante pour une prise collective sur l’animation et l’organisation des milieux de vie. Inspirés par des initiatives développées ailleurs, des citoyens – amis, voisins, parents – s’organisent sur les enjeux environnementaux autour de leurs aspirations collectives, avec ou sans lien avec les structures traditionnelles d’action collective et de concertation (Cloutier, 2019). Il s’agit des circuits courts, transports collectifs ou actifs, luttes aux îlots de chaleur, systèmes alimentaires locaux, conversions d’immeubles, économie circulaire, agriculture urbaine, mobilisation contre l’extraction d’énergie fossile, le déboisement, la destruction des milieux humides, les inondations, etc. Comment et vers quoi évoluent ces initiatives ? Quelle place occupent-elles dans les démarches territoriales de développement?
Poland et al. (2018, p.15) ont démontré que les initiatives citoyennes de transition socioécologique au Canada vivent des difficultés dans les territoires où « le leadership est concentré et à bout de souffle plutôt que partagé et délégué » et où les projets innovants « ont rencontré résistance et indifférence ». Les initiatives se sont par contre développées là où elles sont portées par « une base de participation citoyenne soutenue plutôt que remplacée par un financement » (idem, p.16) public ou philanthropique, et où des efforts ont été faits pour établir des partenariats avec d’autres groupes locaux et avec le gouvernement municipal. Ces efforts de coopération demandent à être mieux compris et pilotés par les acteurs locaux dans le nouveau contexte des gouvernements de proximité au Québec afin d’être plus productifs et innovants.
Les travaux de Lévesque, Fontan et Klein (2014) et de Klein et al., (2018) fournissent des analyses éclairantes sur l’innovation sociale, les organisations citoyennes qui y sont engagées et les mécanismes qui leur permettent d’intervenir dans différents champs d’action. Ces travaux mettent cependant en lumière les limites des innovations en termes de transformation sociale en raison de la faiblesse de l’arrimage avec les mouvements sociaux et de l’absence de relais politiques. Les initiatives collectives locales qui intègrent des visées de transition socioécologique et de lutte aux changements climatiques ont-elles le potentiel de s’organiser en réseau, de se fédérer et de s’arrimer aux mouvements sociaux pour peser sur le politique? Il devient nécessaire de comprendre comment ces nouvelles initiatives d’action collective en effervescence peuvent susciter des réseaux et transcender le local tout en y étant organiquement ancrées pour contribuer efficacement à changer les milieux de vie.
Références
Hopkins, R. (2010). Manuel de transition: De la dépendance au pétrole à la résilience locale. Montréal : Écosociété
Klein, Juan-Luis, Jacques Caillouette, Monique Doyon, Jean-Marc Fontan, Laurie Guimond, Benoît Lévesque et Diane-Gabrielle Tremblay (2018). Les nouveaux modèles d’action en développement territorial dans le contexte de la transition sociale et écologique : vers la construction des capacités collectives permettant d’accroître de façon durable le bien-être des communautés, FRQSC Programme de soutien aux équipes de recherche universitaire, Renouvellement 2018-2022.
Lévesque, Benoît, Jean-Marc Fontan et Juan-Luis Klein (dir.) (2014). L’innovation sociale. Les marches d’une construction théorique et pratique, Québec : Presses de l’Université du Québec, 451p.
Poland, B., C. Buse, P. Antze, R. Haluza-DeLay, C. Ling, L. Newman, A.-A. Parent, C. Teelucksingh, R. Cohen, R. Hasdell, K. Hayes, S. Massot et M. Zook (2018). “The emergence of the transition movement in Canada: success and impact through the eyes of initiative leaders”, Local Environment, https://doi.org/10.1080/13549839.2018.1555579
Une réponse
Bonjour! Plusieurs de ces idées résonnent actuellement en différents lieux. Je souligne la démarche pour un Québec ZéN (Zéro émissions nettes) portée par le Front commun pour la transition énergétique, avec des voeux de convergences, renforcements et complémentarités.