La planification territoriale est une mission fondamentale de tout état moderne. Elle repose sur deux piliers : l’occupation et la vitalité des territoires et l’encadrement du processus de développement (aménagement, urbanisme, architecture).
Dans la foulée du Pacte fiscal de 2019 dont certaines dispositions étaient orientées vers le dynamisme des régions, le gouvernement Legault avait confié le mandat d’élaborer une Stratégie de développement économique local et régional (SDELR) à la ministre déléguée au Développement économique régional, Marie-Ève Proulx. L’objectif de la stratégie était « d’assurer un soutien de qualité, cohérent et efficient au développement local et régional, partout sur le territoire québécois ».
Quelques mois plus tard, soit en janvier 2020, un vaste chantier était lancé au ministère des Affaires municipales et de l’Habitation pour préparer une Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement du territoire (titre qui a changé par la suite pour celui de Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire (PNAAT).
Le projet de Stratégie de développement économique local et régional avorte
Alors que les travaux préparatoires à la SDELR étaient bien amorcés, animés par la ministre Proulx, ils ont été subitement suspendus suite à la démission de celle-ci pour cause d’allégations de harcèlement psychologique portées par des membres de son personnel. Bien que ses responsabilités aient été prises en charge par d’autres ministres, le dossier de la SDELR a été abandonné.
Un certain nombre de mesures qui devaient être intégrées à la SDELR avaient toutefois été adoptées, notamment, la mise sur pied de Comités de développement pour chacune des régions administratives, la création du réseau Accès entreprise Québec, le dévoilement d’un Plan d’action gouvernemental d’économie sociale 2020-2025, l’adaptation des Fonds locaux d’investissement (FLI) aux nouvelles réalités auxquelles les entreprises sont confrontées, la poursuite de la collaboration avec les MRC afin de compléter le réseau des Fonds locaux de solidarité (FLS), le Fonds capital régional et coopératif Desjardins (FCRCD) et d’autres sources régionales de financement.
Dans le cadre du Pacte fiscal convenu avec les deux associations municipales signé à l’automne 2019, le Fonds de développement des territoires (FDT) et le Fonds pour assurer le rayonnement des régions (FARR) avaient été fusionnés pour créer le Fonds Régions et Ruralité (FRR). L’enveloppe budgétaire dévolue au FFR est de 267.5 millions de dollars par année, alors que les deux Fonds précédents disposaient de 160 millions.
Toutes ces mesures procurent un buffet de ressources financières non négligeables pour l’aide aux entreprises et le soutien à des projets et initiatives issus des milieux. Mais il y a une absence de vision d’ensemble pour un développement régional planifié et des actions intégrées et cohérentes, dotés d’un programme d’investissement conséquent en matière d’infrastructures, d’équipements et de services publics, et le souci d’une expertise adéquate des agents de développement, ce qu’avait pour mission de définir la Stratégie de développement économique local et régional. Une stratégie supportée par un engagement gouvernemental ferme de promouvoir un meilleur équilibre territorial entre communautés métropolitaines et régions périphériques et intermédiaires pour plus d’équité, de justice sociale et d’égalité des chances.
L’absence d’une telle stratégie donne lieu à beaucoup d’improvisation et à des investissements ayant peu d’impact sur la vitalité pérenne des communautés concernées.
Cet échec du projet de SDELR maintient les régions dans un statut d’enfants mal aimés des politiques québécoises.
Le développement des régions nordiques qui relève de la Société du Plan Nord fait figure d’exception, ayant sa propre vision ainsi qu’un plan global, intégrant les dimensions économique, sociale et environnementale. Il y a des leçons à en tirer.
Une Politique d’architecture et d’aménagement de territoire bien incomplète
Le 6 juin dernier, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, madame Andrée Laforest, dévoilait sa Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire (PNAAT). Cette promesse était donc remplie… enfin partiellement. Il faut comprendre que le texte de cette politique n’est qu’un document d’intention gouvernemental quant à sa volonté d’agir sur cinq grands thèmes : 1. la croissance urbaine, incluant la problématique de l’étalement urbain et la crise climatique; 2. La gouvernance des territoires; 3. La ruralité et les petites villes en région; 4. le financement et la fiscalité des municipalités; 5. La qualité des milieux de vie.
Ce document d’intention est la partie la plus facile d’une planification territoriale globale, intégrée et transversale. La deuxième partie, qui est le Plan de mise en œuvre, est annoncée pour l’hiver 2023. C’est à la lecture de ce Plan que l’on pourra juger du sérieux de cette politique pour faire face aux grands enjeux auxquels est confrontée notre société aux temps actuels et futurs. Ce Plan devra comporter les dispositifs, les prescriptions, les moyens et les ressources pour que les intentions exposées dans la Politique puissent se concrétiser sur le terrain à travers les compétences partagées en ce domaine entre l’état central, les MRC et les agglomérations, les municipalités locales et les régions. Un volet important de ce Plan devra assurer la capacité technique et financière des collectivités territoriales à s’approprier de cette politique et à gérer adéquatement les règles d’aménagement, d’urbanisme et d’architecture.
Une réforme de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui n’a pas subi de modifications significatives depuis son adoption en 1979 suivra normalement, ainsi que des ajustements à la Loi sur la protection des territoires et activités agricoles.
Les attentes du milieu municipal et de divers groupes et associations dédiés aux questions d’aménagement, de développement local et régional, d’architecture, de protection du patrimoine, de sauvegarde des paysages naturels et culturels, des terres agricoles et des milieux humides… sont grandes.
Doté d’un 2e mandat qui s’annonce fortement majoritaire, un gouvernement caquiste aura les coudées franches pour adopter une Plan de mise en œuvre à la hauteur des défis et des attentes. Qu’en sera-t-il exactement ? Les démonstrations des problèmes à corriger et des voies nouvelles à emprunter ont été faites, les avis, les recommandations, les propositions ont été donnés. Ne manque que le courage politique d’agir.
Oups ! Le projet du tunnel autoroutier sous-fluvial entre Québec et Lévis apparaît comme un chancre indécollable sur les premières ébauches du Plan de mise en œuvre de la Politique d’architecture et d’aménagement du territoire.
P.S. :
- L’auteur a été membre du Comité conseil pour l’élaboration de la Stratégie de développement économique local et régional (SDELR) et membre du Comité d’experts pour l’élaboration de la Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire.
- Il a publié tout récemment un essai ayant pour titre : Rebâtir les régions du Québec. Un plaidoyer, un projet politique.
Voir : https://editionsmultimondes.com/livre/rebatir-les-regions-du-quebec/
Bernard Vachon, Ph.D.
Professeur retraité du département de géographie de l’UQAM
Spécialiste en aménagement et développement du territoire